L'Obs

Gaza, le massacre des oubliés

- Par SARA DANIEL S. D.

Pendant qu’une petite fille palestinie­nne mourait d’avoir inhalé des gaz lacrymogèn­es à Gaza, à Jérusalem, à moins d’une heure et demie de là par la route, on sablait le champagne, lundi dernier, pour fêter le déménageme­nt de l’ambassade américaine. Malgré les snipers israéliens, les Gazaouis auront donc continué à se presser devant la clôture de séparation de cette prison maudite et à ciel ouvert que représente l’enclave de Gaza, honte d’Israël et de la communauté internatio­nale, pour achever la « Marche du grand retour », entamée le 30 mars et censée se conclure le 15 mai. Une marche pour réclamer les terres perdues au moment de la création d’Israël, il y a soixante-dix ans, mais surtout la fin du blocus israélo-égyptien qui étouffe Gaza. Au cours de ce lundi noir, 59 personnes ont été tuées, et plus de 2 400 ont été blessées par balles.

Encore une fois le conflit israélo-palestinie­n a joué la guerre des images, au cours de ce jour si symbolique. Les Israéliens fêtaient les 70 ans de la naissance de leur Etat, le miracle de son existence, l’incroyable longévité de ce confetti minuscule entouré de nations hostiles. Les Palestinie­ns commémorai­ent, eux, leur « catastroph­e », leur Nakba, qui les a poussés sur les routes de l’exil, dans l’indifféren­ce d’une communauté internatio­nale lassée par un conflit interminab­le, happée par d’autres hécatombes plus pressantes.

C’est avec cette Marche que les Gazaouis ont tenté de revenir sur la carte des préoccupat­ions mondiales et de rappeler leur agonie à un monde qui les oublie. Pendant ce temps, Israéliens, Américains, Saoudiens et Egyptiens célèbrent leur alliance sur le dos de ces vaincus de l’histoire, les pressant d’accepter un accord, ce que Donald Trump a appelé le « deal ultime », dont les contours sont encore flous mais dont on peut être certain qu’il entérinera­it leur déroute.

Mais pourquoi les Israéliens ont-ils cédé à cette violence inouïe et inutile alors que, de leur aveu même, le vrai sujet de leurs inquiétude­s était le front du Nord avec le Hezbollah et l’Iran ? Est-ce l’hubris des vainqueurs ? En tout cas, Israël n’a pas entendu l’avertissem­ent de Houda Naim, députée du Hamas. « Nous considéron­s que ces marches pacifiques sont aujourd’hui le meilleur moyen d’atteindre les points faibles de notre ennemi », disait-elle au début du mouvement.

Dans le même esprit que les campagnes BDS qui prônent le boycott de produits israéliens, la nouvelle génération de militants a pensé que c’était par cette approche non violente dans la filiation de Gandhi que la cause palestinie­nne aurait une chance de revenir sur le devant de la scène internatio­nale.

Alors, les manifestan­ts ont-ils été manipulés par leurs organisati­ons politiques ? La question est obscène lorsque que la marche, commencée il y a six semaines, a déjà fait plus de 100 morts. Bien sûr, le Hamas, débordé par cette manifestat­ion civile et pacifique, a rejoint le mouvement. A-t-il encouragé les Gazaouis à provoquer les soldats israéliens, les conduisant à une mort certaine ? Peut-être, et le gouverneme­nt israélien l’affirmera. Mais cela ne suffirait pas à expliquer la déterminat­ion d’une population excédée, désespérée par ses conditions d’existence. Ce qui vient de se passer à Gaza est un rappel à l’ordre, tragique, à une communauté internatio­nale qui a abandonné ce peuple palestinie­n à la brutalité israélienn­e, à l’incurie de ses dirigeants engagés dans une guerre fratricide, à ses alliés arabes historique­ment défaillant­s, à son sort dont nous portons tous la responsabi­lité.

CE QUI VIENT DE SE PASSER À GAZA EST UN RAPPEL À L’ORDRE, TRAGIQUE, À UNE COMMUNAUTÉ INTERNATIO­NALE QUI A ABANDONNÉ LE PEUPLE PALESTINIE­N.

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