Les mille combinaisons du carpaccio
Né à Venise au milieu du xxe siècle, le carpaccio se prête aujourd’hui à mille combinaisons, bien loin de la recette originale
E n ce printemps 1950, Venise resplendit de bannières rouges, la couleur fétiche du peintre de la Renaissance Vittore Carpaccio, annonçant ainsi la rétrospective au palais des Doges qui lui est consacrée. A quelques canaux de là, Giuseppe Cipriani, propriétaire du Harry’s Bar où se pressent Orson Welles, Charlie Chaplin ou Ernest Hemingway, a un problème de taille. Sa cliente favorite, la comtesse vénitienne Amalia Nani Mocenigo, l’informe, « des larmes dans les yeux », se souvient Arrigo le fils du patron, que son médecin a décidé de la soumettre à une diète stricte qui lui interdit toute viande cuite. Giuseppe ne se démonte pas, file en cuisine et revient en salle quinze minutes plus tard avec un plat de tranches de filet de boeuf cru recouvertes d’une mayonnaise. « Qu’est-ce que c’est ? » demande la comtesse. « Un boeuf carpaccio », répond le restaurateur du tac au tac, ayant à l’esprit les rouges subtils des toiles du peintre honoré à Venise.
Si la recette initiale est bien connue – filet de boeuf coupé en tranches ultrafines, assaisonnées de mayonnaise, ketchup, sauce Worcestershire, gouttes de cognac, Tabasco, avec un peu de crème liquide –, elle est aujourd’hui servie à toutes les sauces. On la retrouve simplifiée, généralement rehaussée d’huile d’olive et de citron, parsemée de copeaux de parmesan et accompagnée de salade de roquette. « Il faut un peu d’acidité, avec le citron par exemple, car la viande crue, dépourvue du goût du gras qui a fondu, peut être fade », précise Benoît Bordier, chef du restaurant Le Saint Joseph à La Garenne-Colombe et auteur d’un livre sur le sujet. Par extension, on nommera carpaccio tout plat de produit cru tranché finement : l’appellation sera détournée pour des fruits de mer, des poissons et même des légumes. Un plat d’été par excellence, qu’on accompagnera bien sûr d’un bellini, le fameux cocktail vénitien au jus de pêches blanches et prosecco… Comme au Harry’s Bar.