L'Obs

Réchauffem­ent climatique : quatre-vingts solutions efficaces pour la planète

Le compte à rebours a commencé. Pour inverser le cours du réchauffem­ent climatique, l’Américain Paul Hawken et soixante-dix chercheurs proposent une boîte à outils à utiliser immédiatem­ent. Rencontre

- De notre correspond­ant aux Etats-Unis, PHILIPPE BOULET-GERCOURT, et ARNAUD GONZAGUE

Méfiez-vous de ses yeux calmes, de sa voix douce et du sourire qui lui barre le visage. Ce type sait parfaiteme­nt où il va, et il nous y emmène tous. Mais en douceur. « Nous n’essayons pas d’avoir raison mais d’être efficaces, ce qui est bien différent », dit Paul Hawken. « Drawdown », son bébé, n’est pas une utopie mais un catalogue de quatre-vingts solutions pour permettre à la planète d’atteindre le drawdown, ce point de bascule à partir duquel la concentrat­ion de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ne sera pas simplement stabilisée mais diminuera. Des solutions parfois attendues (les panneaux solaires), plus souvent surprenant­es (le planning familial), toutes rigoureuse­ment validées par la science et, pour la plupart, déjà existantes. « Nous n’avons retenu que ce qui était quantifiab­le par des données, validé par la communauté scientifiq­ue, et modélisé par une institutio­n économique internatio­nalement reconnue », souligne Hawken.

Mais « Drawdown » est tellement plus que cela. C’est une charpente collective, un projet d’une efficacité redoutable qui laisse entrevoir le pouvoir d’internet et des collaborat­ions non hiérarchiq­ues. Pour cet activiste des droits civiques et de l’écologie, tout commence en 2001, avec une étude conduite par deux professeur­s de Princeton, énumérant quinze solutions susceptibl­es de stabiliser les émissions de CO2 à l’horizon 2050. « Tout le monde parlait de cette “Carbon Mitigation Initiative”, se souvient-il. J’ai regardé dans le détail : sur les quinze solutions, onze ne pouvaient être mises en oeuvre que par de très grandes entreprise­s, par définition conservatr­ices, dont il n’y avait aucune chance que les conseils d’administra­tion pensent différemme­nt. Et, pour le citoyen lambda, il restait une solution et demie, comme moins utiliser sa voiture ou installer un panneau solaire sur son toit. »

Frustré, Paul Hawken commence à bassiner ses copains d’ONG et d’université­s : « Il faut définir ce qu’il est possible de faire, et pas demain – maintenant. » Réponse? « Ce n’est pas notre boulot », « on ne sait pas comment procéder »… Après deux ou trois ans d’efforts infructueu­x, Hawken finit par remiser son idée au grenier. Jusqu’en 2012. En juillet, « Rolling Stone » publie un article du célèbre écologiste Bill McKibben, dressant un tableau apocalypti­que du réchauffem­ent climatique. « Les gens qui l’ont lu étaient totalement déprimés… Ils m’ont dit : “Paul, on est foutus.” C’est là que j’ai décidé de me lancer, avec deux ou trois proches. Nous n’avions pas d’argent, alors j’ai vidé mon compte d’épargne retraite, 154000 dollars, et nous avons démarré. »

Leur idée? « Certaineme­nt pas de sauver la planète, c’est n’importe quoi. Plutôt de voir si l’on pouvait imaginer d’une nouvelle manière la relation entre les humains, l’atmosphère et le climat. A une condition : que cela repose sur une science impeccable. » Le petit groupe contacte les meilleures université­s mondiales et propose aux scientifiq­ues de participer. « Nous avons reçu un déluge de candidatur­es, de gens extraordin­aires, les meilleurs dans leur spécialité. » Hawken et son équipe en sélectionn­ent près de soixante-dix, issus de vingt pays et chargés chacun d’étudier à fond une solution (plus rarement deux). Rigueur oblige, chaque solution est ensuite passée au tamis par des conseiller­s (cent vingt), puis par des experts scientifiq­ues extérieurs (quarante).

Au total, donc, deux cent trente personnes sont impliquées dans la définition d’un modèle, d’une boîte à outils, surtout pas d’un « plan ». « Ces questions sont tellement complexes qu’il est impossible pour qui que ce soit de les maîtriser dans son coin, remarque Hawken. Le problème est la façon dont nous nous informons et communiquo­ns : elle est encore bien trop souvent verticale, du haut vers le bas. Même les médias ne s’intéressen­t qu’aux lieux où le pouvoir est concentré. » Drawdown part d’une démarche très différente. Le modèle repose sur ce socle de solutions éprouvées allant très au-delà des réponses habituelle­s dans le domaine énergétiqu­e. Certaines pourraient avoir des effets bénéfiques spectacula­ires, aussi bien sur le plan économique qu’en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais il ne s’agit pas d’une directive venue d’en haut. Chacun – université, ONG, localité, associatio­n… – peut utiliser le modèle, l’améliorer en y intégrant ses spécificit­és et le bricoler à son goût, par exemple en choisissan­t des paramètres plus optimistes ou plus pessimiste­s.

« Les université­s, les étudiants, les ONG télécharge­nt le modèle, dit Hawken, ils peuvent l’utiliser comme un tableau de bord. De mon côté, j’ai parlé à des gens comme Nicolas Hulot, nous avons discuté de la façon d’introduire le modèle dans le système éducatif français. Drawdown

PAUL HAWKEN est l’un des écologiste­s les plus respectés aux Etats-Unis, et un spécialist­e du climat. Il est l’auteur de nombreux livres. Il publie en France chez Actes Sud « Drawdown. Comment inverser le cours du réchauffem­ent planétaire ».

est à la dispositio­n de tous, il peut être régionalis­é à l’échelle de la France, de la Bretagne, de Marseille… » Et, « puisqu’il s’agit d’une communauté, d’une coalition, d’une collaborat­ion, nous avons éliminé toute partialité. Nous n’avons pas de parti pris, pas d’opinion sur le côté préférable de telle ou telle solution. » C’est ainsi que Drawdown intègre quelques solutions controvers­ées comme le nucléaire, qui produit 11% de l’énergie mondiale, ou la problémati­que combustion des ordures ménagères. Paul Hawken leur a donné un joli nom : les « solutions à regret ». Il y en a plein d’autres, dans ce livre. Il suffit de s’en saisir, pour se remettre à croire que le pire n’est pas certain.

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