L'Obs

La journalist­e Fabienne Sintès

Sur France-Inter, où elle anime avec succès le “18-20” depuis la rentrée, Fabienne Sintès, ex-correspond­ante de Radio-France aux Etats-Unis, n’a qu’une ambition : donner à comprendre l’état du monde

- Propos recueillis par HÉLÈNE RIFFAUDEAU

Au début de la saison, vous disiez avoir la pression… Je l’avais puisque je prenais la suite de Nicolas Demorand, à la tête d’un rendez-vous mythique de l’antenne ! Et puis la tranche comporte deux émissions [« Un jour dans le monde » et « Le téléphone sonne », NDLR] qui n’ont strictemen­t rien à voir l’une avec l’autre. Donc, le fil conducteur, c’est moi. Par rapport à la matinale de France-Info, il s’agit d’un tout autre exercice. Non seulement je peux dormir la nuit mais je suis aussi beaucoup moins perfusée à l’informatio­n brute. J’ai désormais la possibilit­é de faire des choix de sujets et d’angles. Le « 18-20 » est encadré par des journaux qui traitent l’actualité chaude, il a fallu trouver sa place, son ton. « Le téléphone sonne » a été créé il y a quarante ans. Cherchez-vous à renouveler l’émission ? Oui, c’est fou, je l’écoutais quand j’étais jeune. Le format est resté quasiment identique. Comme c’est une vache sacrée, on ne touche à rien ! Nous entrons dans la cuisine ou dans la salle de bains des auditeurs, nous abordons des thèmes qui concernent leur quotidien. C’est vraiment leur émission. Nous ne sommes pas forcés d’être dans l’actualité, il suffit simplement de humer l’air du temps. Et nous aimons de plus en plus aller chatouille­r le public avec des sujets sur le fil. Nous avons consacré ainsi un « Téléphone sonne » aux nouveaux couples : ceux qui font chambre à part, ou vivent dans des appartemen­ts séparés, les polyamoure­ux. Et un autre à la pornograph­ie. C’est un peu de cette façon que nous dépoussiér­ons l’émission ! Comment choisissez-vous vos sujets ? On peut aussi bien traiter de la réforme de la justice que de la fatigue. La question n’est pas tant de savoir si un thème est intéressan­t en soi que d’anticiper si les témoignage­s qu’il va générer le seront. L’actu n’a pas toujours du talent. En réalité, les auditeurs ne cherchent pas vraiment de réponses, ils viennent pour raconter quelque chose d’eux. Nous ne parlerons jamais de l’obsolescen­ce programmée. Nous leur demanderon­s plutôt : « Est-ce que vous jetez trop ? » L’émission permet de prendre le pouls de la société. En ce moment, il est absolument frappant de voir que les sujets politiques ne suscitent pas du tout l’intérêt. Nous sommes dans un grand centre mou, avec une gauche et une droite qui ne se sont pas reconstrui­tes, on ressent vraiment une sorte de dépolitisa­tion. « Un jour dans le monde » est l’une des rares émissions qui traitent de l’actualité internatio­nale à la radio… A part RFI, nous sommes même les seuls. Nous commandons des reportages de cinq à six minutes partout dans le monde. Là, je suis vraiment dans ce que j’aime faire. Et même si je ne vais pas sur le terrain, c’est ce qui me rapproche le plus du reporter que je suis. Je ne suis pas une intello, je suis journalist­e. Je veux comprendre ce qu’il se passe à tel ou tel endroit et le donner à comprendre. Comment fait-on pour intéresser les auditeurs à la situation au Soudan, par exemple ? On leur en parle le plus simplement possible. Et on leur explique aussi pourquoi cela nous concerne. Donner à comprendre le monde, c’est donner à comprendre ce qui se déroule sous nos yeux. Si des migrants vivent sous des tentes Quechua dans Paris, c’est bien parce qu’il se passe quelque chose ailleurs. Avec les attentats, nous avons vu à quel point nous sommes plus que jamais impactés par des situations qui pouvaient nous paraître lointaines. Le terrain vous manque-t-il ? Je l’ai quitté après avoir été correspond­ante aux Etats-Unis pour Radio-France de 2007 à 2013 car je voulais faire quelque chose que je ne savais pas faire. Pour moi, il n’y a rien de pire dans ce métier que l’amicale du gilet pareballes : je ne voulais pas devenir une vieille reporter qui raconte ses guerres accoudée au bar. Et j’avais peur de finir par me regarder en train de couvrir quelque chose. Ce que je redoute le plus, dans la vie, c’est de refaire ce que j’ai déjà fait. Je pense qu’il faut toujours tenter de se faire peur de nouveau. Si, un jour, j’étais amenée à renouer avec le reportage, mais il y a peu de chances, ce serait certaineme­nt par un autre biais. Vous continuez à suivre l’actualité américaine ? Oui, bien sûr. Laurence Bloch [directrice de France-Inter, NDLR]

“JE ME FAIS AUTANT ÉPINGLER PAR LES ‘INSOUMIS’ QUI NOUS REPROCHENT D’ÊTRE MACRONISTE­S QUE PAR DES MACRONISTE­S QUI NOUS QUALIFIENT DE RADIO GAUCHO.”

me dit souvent, d’ailleurs : « Ne fais pas trop d’Etats-Unis ! » Mais, encore une fois, je suis certaine que Grégory Philipps [correspond­ant actuel de Radio-France outre-Atlantique] la raconte mieux que je ne l’aurais traitée car il a une fraîcheur que je n’avais plus. Je crois que si Trump avait été élu tout de suite après mon départ, j’aurais éprouvé une grande frustratio­n. Mais je suis partie en 2013, il y a eu toute la fin du mandat d’Obama. Et puis je continue à couvrir ce qu’il se passe sur place autrement : lors de l’élection présidenti­elle, nous avons mis en place une édition spéciale toute la nuit… Les dernières audiences Médiamétri­e vous annoncent leader sur la tranche 18 heures-20 heures et vous gagnez continuell­ement des auditeurs… Comment définir la patte Fabienne Sintès ? Je déteste prendre un ton compassion­nel pour parler des choses. Pour paraphrase­r Coluche à propos de Roger Gicquel, je dis toujours que lorsqu’un avion s’écrase dans le monde, ce n’est pas sur nos pieds. Même quand j’étais reporter en zone dangereuse, j’avais toujours en tête qu’il ne s’agissait pas de nos familles, de nos vies, car notre quotidien était ailleurs. J’ai la chance

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1992. Entre à Radio-France.
2007. Devient correspond­ante aux Etats-Unis.
2013. A son retour en France, anime la matinale sur France-Info.
2017. Prend les rênes d’« Un jour dans le monde » et du « Téléphone sonne » de 18 heures à 20...
BIO EXPRESS 1992. Entre à Radio-France. 2007. Devient correspond­ante aux Etats-Unis. 2013. A son retour en France, anime la matinale sur France-Info. 2017. Prend les rênes d’« Un jour dans le monde » et du « Téléphone sonne » de 18 heures à 20...

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