L'Obs

Onze journées particuliè­res

Sous Louis XIV, la France comptait une cinquantai­ne de jours fériés, aujourd’hui il n’y en a plus que onze. Voici leur histoire

- Par FRANÇOIS REYNAERT

Encore un – lundi prochain, pour la Pentecôte –, et la fastueuse saison de ponts que nous venons de connaître touchera à sa fin. L’occasion est idoine pour un sujet historique : d’où diable nous viennent ces fameux jours fériés annuels, ce chapelet disparate de célébratio­ns catholique­s (Pâques, Ascension, Pentecôte, Assomption, Toussaint, Noël), de commémorat­ions nationales (8 mai, 14-Juillet, 11 novembre), sociales (1er-Mai), ou de chiffre rond tout bête (1er janvier)?

Curieuseme­nt, sur le long terme, cette saga des jours fériés est d’abord une histoire de peau de chagrin. On en est donc à onze par an. Aux yeux du Medef, c’est beaucoup trop. Aux yeux d’un homme du Moyen Age, cela aurait semblé dérisoire. La vie médiévale, très encadrée par l’Eglise, est rythmée par son bienheureu­x calendrier. Toutes les saintes occasions, procession­s, célébratio­ns, sont bonnes pour laisser l’outil à l’atelier. Au début du règne de Louis XIV encore, nous explique l’historien de l’économie Jean-Yves Grenier (1), on comptait une cinquantai­ne de jours chômés par an. A la veille de 1789, on tombe à une vingtaine, avec l’assentimen­t du clergé lui-même. Pourquoi une telle chute? L’historien soupçonne, entre autres, l’influence des laborieux pays protestant­s – qui ont rejeté le culte des saints et les fêtes qui vont avec. L’univers catholique commence lui aussi à poser le travail comme la grande valeur rédemptric­e, au lieu de ces fêtes qui ont une fâcheuse tendance à envoyer le bon peuple au cabaret plutôt qu’à l’église.

La vertueuse Révolution française suit ce mouvement. Le calendrier révolution­naire n’a-t-il pas aboli le dimanche au profit du « décadi », et réduit ainsi le repos à un jour sur dix? Toujours est-il qu’il faut attendre Bonaparte pour trouver les bases du système actuel. Dans la foulée du Concordat, en 1802, le cardinal-légat du pape, en accord avec le premier consul, ramène à quatre le nombre de jours désormais fériés en France, un par saison : l’Ascension, le 15 août (fête de la montée au ciel de Marie, qui se trouve être aussi, heureux hasard, la date de naissance de Napoléon), la Toussaint

et Noël. En 1810, magnanime, le Conseil d’Etat ajoute le 1er janvier, et voilà tout.

Il faut attendre les débuts de la IIIe République, qui cherche à asseoir son régime par des symboles forts, pour que la politique se mêle enfin d’un domaine capté jusqu’alors par le religieux. En 1880, une loi dote la France d’une « fête nationale » qui, subtilemen­t, commémore à la fois la prise de la Bastille en juillet 1789 mais aussi, date moins sanglante, l’anniversai­re de l’événement célébré le 14 juillet 1790 par la Fête de la Fédération, un des rares jours de concorde de la période.

A dire vrai, pendant tout le xixe siècle, dans toute l’Europe, suivant une tradition qui remonte aux siècles précédents, les ouvriers, pour lutter à leur façon contre les cadences qu’on leur impose, ont pour coutume de fêter la Saint-Lundi : plutôt que de venir au boulot, ils vont se pochetronn­er au mastroquet avec la paie reçue le samedi ( jour de la Sainte-Touche).

Est-ce en l’honneur de ce très rabelaisie­n patron que la loi de 1886 en sanctifie deux d’un coup, les lundis de Pâques et de Pentecôte? De fait, il est amusant de voir entrer dans notre liste ces deux nouveaux venus indiscutab­lement calotins en pleine période de laïcisatio­n et de gouverneme­nts composés de francs-maçons notoires. A en croire l’historienn­e Jacqueline Lalouette (2), le vrai motif est économique : la Chambre de Commerce a fait pression pour aligner la France sur les pays voisins, où ces deux jours étaient chômés, afin d’uniformise­r les échéances de traite. Il n’empêche. Quand il s’agit du sujet sacré du repos du travailleu­r, la République laïque voit mal l’intérêt à aller à l’encontre des traditions de la sainte Eglise. En 1905, lors de la discussion de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, l’amendement du laïcard ultra qui entendait remplacer toutes les fêtes catholique­s par des « dates astronomiq­ues » est rejeté à une écrasante majorité. De même, quand, en 1906, on vote enfin l’obligation d’un repos hebdomadai­re, cela ne choque pas grand monde qu’on choisisse le dimanche.

Dans ces années de lutte sociale, les travailleu­rs ont pris l’habitude de manifester le 1er-Mai, mais il faut attendre la Libération pour que la loi en fasse un jour chômé, après bien des hésitation­s pour savoir comment l’appeler : le nom de « Fête du Travail », finalement choisi en 1948, avait hélas déjà été retenu par Pétain.

Restent deux journées, instituées en l’honneur de la conclusion des deux grandes tragédies du xxe siècle. En 1922, après avoir hésité entre plusieurs dates, la Chambre choisit le 11 novembre, date de l’Armistice, pour rendre un hommage annuel aux morts de la Première Guerre mondiale. En 1953, on opte pour le 8 mai pour célébrer la fin de la Seconde. De Gaulle veut abandonner la date, parce qu’il lui préférerai­t le 18 juin. Giscard en choisit une autre, parce qu’il pense qu’il est temps d’oublier la guerre. Arrivée au pouvoir en 1981, la gauche la rétablit.

(1) Dans la « Revue historique », PUF, mars 2012. (2) Auteur de la meilleure somme sur la question : « Jours de fête », Tallandier.

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