Algues, rennes et suppositoire géant…
Impossible de recenser de manière exhaustive la multitude de préconisations listées dans « Drawdown » pour réduire l’empreinte carbone de l’humanité. Les propositions inventoriées par Paul Hawken appellent à des changements profonds – pour ne pas dire révolutionnaires – en matière d’agriculture, de transports, de choix énergétiques, alimentaires… Mais sa roborative enquête est d’abord une débroussailleuse de fatalisme. Elle nous aide à réaliser que le réchauffement climatique est certes un défi écrasant, par son ampleur et par sa complexité, mais un problème qui a des solutions. Homo sapiens n’a pas besoin de se transformer en super-héros ni en demi-dieu pour relever le défi. Il n’a qu’à mettre en oeuvre deux vertus jumelles dont il est très largement doté : l’ingéniosité – autrement dit, faire beaucoup avec des moyens limités – et la faculté d’adaptation. Petit passage en revue.
LES SOLUTIONS À PORTÉE DE MAIN
Il y en a, des choses à faire, même quand on est un simple citoyen-consommateur. Beaucoup sont connues, mais pas toutes. Par exemple, on sait bien qu’il faut privilégier les transports en commun, le vélo ou le covoiturage plutôt que la voiture individuelle. Qu’il est recommandé d’isoler son logis pour éviter les déperditions d’énergie, et d’acheter des pompes à chaleur en lieu et place des chaudières carburant au fioul. De préférer la douche au bain (beaucoup moins d’eau chaude consommée, c’est moins de CO2 émis), de limiter la consommation de produits emballés dans du plastique (issu du pétrole), d’acheter du papier recyclé…
Mais a-t-on vraiment en tête que le changement commence aussi et surtout dans nos assiettes? Pourtant, l’élevage animal produit de 15% à 50% (selon les modes de calcul) des gaz à effet de serre qui réchauffent la Terre. Donc, limiter les menus avec de la viande est un pas décisif. Un végétarien réduit de 63% ses émissions, un végane (qui ne consomme ni chair, ni oeufs, ni produits laitiers, ni cuir) de 70%. Plus simplement, on peut aussi déguster davantage de produits bio (donc sans engrais ni pesticides issus de l’industrie pétrochimique) ou faire attention à moins gaspiller. Car, oui, toute la nourriture produite, transportée, emballée mais non consommée est un fléau planétaire sous-estimé. « Si c’était un pays, le gaspillage alimentaire serait le troisième émetteur de gaz à effet de serre de la planète », derrière les Etats-Unis et la Chine, rappelle Paul Hawken!
LES SOLUTIONS INATTENDUES
A en croire l’auteur, l’action la plus décisive pour réduire le réchauffement d’ici à 2050 ne concerne ni les centrales à charbon ni le parc automobile, mais tout bonnement… nos frigos et climatiseurs. Le fluide
frigorigène qui y fabrique du froid, les hydrofluorocarbures (HFC), est une source de réchauffement du climat 9000 fois plus active que le CO2 ! Respecter l’accord de Kigali (2016), c’est-à-dire le récupérer, le neutraliser pour qu’il ne se répande pas dans l’atmosphère, et le remplacer par des réfrigérants naturels, comme l’ammoniac et le propane, n’est pas une mince affaire. Et cela va coûter quelque 900 milliards de dollars à la communauté internationale. Mais l’action devrait permettre d’alléger le bilan carbone de la planète de 0,5 °C, ce qui a fait dire à John Kerry, alors secrétaire d’Etat des Etats-Unis, que c’était « la chose la plus importante qu’on puisse faire en une seule étape » pour le climat.
Autre solution franchement méconnue de l’opinion publique : donner des terres agricoles, des crédits et des engrais aux femmes, qui trop souvent ne travaillent pas pour leur propre compte dans les pays du Sud. Cela permettrait de faire de l’agriculture plus productive à l’hectare, donc de réduire les besoins de déforestation. De même, développer l’accès des femmes à l’éducation sexuelle et à la contraception (il y a 74 millions de grossesses non désirées chaque année dans le monde) pourrait être la sixième solution pour limiter le réchauffement. Moins d’enfants, c’est moins de bouches à nourrir, et moins de besoins dont la satisfaction émet du carbone.
Enfin, qui pourrait soupçonner l’importance de repeupler d’herbivores la toundra, ce paysage du cercle polaire arctique? Cela permettrait de refroidir de 1 °C à 2 °C le sol, et donc y conserver les 1400 milliards de tonnes de carbone qui s’y trouvent stockées. C’est que les chevaux, rennes et boeufs musqués, en grattant avec leurs pattes la couche neigeuse, permettent d’empêcher la fonte accélérée du sol, hyper-émettrice de méthane. « S’il était mis en oeuvre avec succès, le repeuplement de la steppe-toundra serait la solution numéro un du projet Drawdown », écrit Hawken. Sans aller jusqu’aux contrées septentrionales glacées, on sait que rétablir, sous nos latitudes, le pâturage de bovins nomades (plutôt qu’enfermés dans des parcelles) serait un excellent moyen de régénérer les pâtures, et donc de séquestrer plus efficacement le carbone dans le sol.
LES SOLUTIONS UTOPIQUES
C’est la partie la plus enthousiasmante du livre pour peu que l’on aime l’innovation – et qu’on n’oublie surtout pas que, en matière de réchauffement climatique, les inventions les plus géniales ne remplaceront jamais le besoin de limiter les excès de nos trains de vie nocifs pour le climat. Des scientifiques réfléchissent ainsi au captage du CO2 dans l’air, à l’aide d’un dispositif appelé DAC (direct air capture). Principe : une grosse éponge qui extrairait de l’air ambiant le dioxyde de carbone, le retiendrait chimiquement puis le transformerait en essence, en plastique, en engrais, en ciment…
Autre folle trouvaille : donner une algue nommée Asparagopsis taxiformis à grignoter aux bovins et ovins. Glissée en infime proportion dans l’ordinaire du fourrage, cette algue rouge réduirait en effet de 70% à 99% le méthane émis sous forme de rots et de pets par les vaches, moutons et chèvres. Des rejets qui représentent pas moins de 6% à 7% des émissions terrestres de gaz à effet de serre. Bien sûr, il faudrait produire des algues à gogo pour nourrir les cheptels. Pour ce faire, rien de tel que de recourir à la « permaculture marine », une pratique 100% écolo consistant à faire proliférer, sur des grillages immergés à vingt-cinq mètres de profondeur, les plantations de kelp. Cette algue, qui croît encore plus vite que le bambou, pourrait être nourrie… en injectant dans les eaux du CO2 récupéré par le DAC. On y revient.
Plus étonnant encore : des scientifiques savent reproduire artificiellement la photosynthèse pratiquée en virtuose par les végétaux. Il s’agit, grâce à la bactérie Ralstonia eutropha, de transformer l’eau, la lumière du soleil et le dioxyde de carbone en oxygène et en énergie. Cette « feuille artificielle » serait entre quatre et dix fois plus efficace que la photosynthèse naturelle. Une manière commode de remplacer, notamment, les carburants pétroliers tout en grignotant du CO2.
Citons enfin le projet Hyperloop, rêvé par l’entrepreneur visionnaire Elon Musk. Un moyen de transport alimenté par les énergies solaire et éolienne et que, sans nul doute, Jules Verne aurait adoré. Ressemblant à un gros suppositoire de 2 mètres de diamètre, cette capsule en fibre de carbone serait propulsée (à 1200 km/h!) dans un long conduit d’acier qui sillonnerait la Californie. Maintenu en lévitation par des électroaimants, évoluant dans un vide partiel qui augmente sa vitesse de propulsion, ce train du futur dépenserait, à distance et nombre de passagers égaux, 90% à 95% d’énergie en moins qu’un avion, un TGV ou une voiture.