L'Obs

C’est la lutte finale

EN GUERRE, PAR STÉPHANE BRIZÉ. DRAME SOCIAL FRANÇAIS, AVEC VINCENT LINDON, MÉLANIE ROVER, JACQUES BORDERIE (1H53).

- FRANÇOIS FORESTIER

Anatomie d’une grève qui foire: tandis que l’usine Perrin, à Agen, annonce la fermeture totale, la maison-mère allemande fait des bénéfices record. C’est la loi du capitalism­e : détruire des emplois, faire du profit, sacrifier les 1 100 salariés. La grève commence ; il faut établir le rapport de force, discuter avec les différents responsabl­es, impliquer les services de l’Etat (qui, comme le dit le haut fonctionna­ire, ne peut pas grand-chose), rassembler la base, surmonter les dissension­s, se battre, se battre, se battre. En s’inspirant de l’incident du 5 octobre 2015, quand le DRH d’Air France a vu sa chemise déchirée, Stéphane Brizé s’interroge sur le désespoir des salariés, conduits à des gestes extrêmes. Le titre du film dit tout: c’est la guerre, désormais au coeur de notre société. Brizé raconte ce conflit (fictif, mais réaliste) avec des images de reportage, des réunions de syndicalis­tes, des confrontat­ions avec le patronat : le leader de la lutte, Laurent Amédéo (Vincent Lindon), déterminé et dévoué, est montré dans toute sa vérité d’homme: divorcé, rageur, prêt à rendre service, intransige­ant, porteur d’une dimension sacrificie­lle. Joué par des acteurs non profession­nels, le film a une charge électrique étonnante : la colère qui jaillit des images n’est pas feinte ni jouée. Sur un sujet somme toute classique (la lutte des classes), le cinéaste injecte une dose massive d’énergie. Au fil des jours, puis des semaines, la situation s’envenime : la direction a fait des promesses qu’elle n’a pas l’intention de tenir. Tout dérape, le front syndical se fissure : mencheviqu­es (on prend ce qu’on nous offre) contre bolcheviqu­es (on va jusqu’au bout).

Comme dans certains des films précédents de Brizé (« Quelques heures de printemps », « la Loi du marché »), un autre horizon se profile, sous le discours revendicat­if. On assiste à la fin d’une époque : bientôt, il n’y aura plus d’ouvriers, plus de syndicats, plus de poings levés, plus de drapeau rouge. Le futur sera asocial, financier, écrasant. Alerte max, donc. Il y a, dans le film, une opération du Saint-Esprit : dans ces lieux ternes, ces murs d’usine, ces bureaux blancs, un acteur insuffle une tramontane d’enfer. Vincent Lindon, entièremen­t habité par le personnage d’Amédéo, allume la mèche, à chaque scène. Il est à la fois au diapason des autres et unique dans sa révolte. Cette marge entre la fiction et la flamme, on appelle ça le talent.

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