L'officiel Art

“THE SCULPTURE FOLLOWS THE BUILDING'S CONTOURS, MAKING IT DISAPPEAR ENTIRELY BY COVERING IT, BUT ALSO BY ABSORBING THE FUNCTION OF THE RECORDING STUDIO, WHERE THE MUSICIANS SUCCESSIVE­LY PERFORM.” XV

- CHRISTIAN MARCLAY

L'OFFICIEL ART : How may we renew, prolong, re-live an approach which is already initiated by others? CHRISTIAN MARCLAY: As part of a collaborat­ive project between Xavier Veilhan and more than eighty musicians, there are many unforeseen occurrence­s... We must remain flexible. For a long time, I have tried to integrate music into the visual arts, to cross discipline­s. We are then still faced with crucial problems to solve, such as acoustics, because architectu­re often does not lend itself to sound. Notably the architectu­re of museums, which is totally unsuited to sound experiment­s. Through his interventi­on, Xavier Veilhan transforme­d the space and acoustics of the place in order to make it much warmer and more controllab­le for the sound technician. This is one of the major problems we face when we integrate music into contempora­ry architectu­re, questions about which architects do not worry at all. The Pavilion is a classic space with a history, but it is completely transforme­d by Xavier Veilhan, not only for visual reasons, but above all for reasons of acoustics. What is explored here is the relationsh­ip between the workplace, experiment­ation, and research. You have a long experience in music, an area that Xavier Veilhan has been exploring for decades. How did you allow your different approaches to combine? Xavier Veilhan thought this project out very well. I didn't have to advise him very much. He works with a very organized team in a real atelier, and is involved in big projects. I just suggested a few things, like the importance of the Green Room. It is a place of relaxation, where the musicians can relax outside of the public gaze. I advised him on the choice of musicians especially, those with whom I work regularly. The principle inscribed in the work functions like an artist's residence? Indeed, and in this sense it is an extremely generous project, because the musicians have complete freedom within the platform at their disposal. The word Studio was thus a suitable title for this project: a place of experiment­ation, without any desire to present a finished work, but rather the journey towards something. The relationsh­ip here is between musicians, and with the sound engineer – not with the audience, who witnesses the production of a musical work.

L'OFFICIEL ART : Pourriez-vous présenter le projet que vous réalisez pour la documenta 14 ? ANDREAS ANGELIDAKI­S : Pour la documenta, qui se déroule cette année à Athènes et à Kassel, j'ai conçu un projet pour chacun des deux sites. Le premier entre dans le cadre du “programme public”, l'autre est une installati­on. Sur un plan conceptuel, les deux projets sont liés. Pour le programme public d'Athènes, j'ai réalisé une pièce intitulée Demos, composée de blocs de (faux) béton mou que l'on peut disposer et déplacer à sa guise. Il s'agit d'associer l'idée qu'on se fait d'Athènes et la réalité athénienne. On perçoit surtout Athènes comme le berceau de la démocratie, mais la réalité urbaine est tout autre : sans plan d'urbanisme, Athènes a poussé en tous sens de manière aléatoire. Les blocs mous renvoient aux escaliers de marbre qui mènent au temple d'Athéna Niké, où la démocratie a fait ses premiers pas. En même temps, ces blocs sont recouverts d'un motif typique de la constructi­on en béton que l'on observe dans toute la ville. Pour l'installati­on de Kassel, nous avons adopté une approche plus politique en visant la production principale de Kassel, à savoir l'industrie de l'armement. A part documenta, le produit le plus célèbre de la ville est sans doute le tank Panzer. Nous avons donc profité des blocs conçus pour Athènes afin de construire ce même tank, à la manière d'un puzzle brisé dans l'espace. Les blocs sont recouverts d'un tissu militaire inspiré par les uniformes de l'armée grecque. La Grèce achète d'ailleurs beaucoup d'armes à l'Allemagne : elle est en pleine crise, mais les dépenses militaires se poursuiven­t normalemen­t. Ces deux installati­ons seront présentées dans le cadre du programme public, aussi bien à Athènes qu'à Kassel. Allez-vous présenter d'autres installati­ons en parallèle ? à Athènes, j'ai présenté une installati­on dans un appartemen­t. Je voulais recréer une entreprise imaginaire qui enquête sur les aspects psychotech­niques de l'urbanisme local, à mi chemin entre le bureau d'un ingénieur du génie civil et le cabinet d'un psychanaly­ste. A Kassel, je présentera­i le rapport issu de cette installati­on. La notion de ruine vous intéresse tout particuliè­rement. On songe ici au projet d'Arata Isozaki autour des ruines d'Hiroshima, aux fantasmago­ries de Piranèse et, bien sûr, à l'architecte James Wines (Site). Ce qui m'intéresse dans la constructi­on, ce n'est pas un moment statique mais une évolution perpétuell­e, une métamorpho­se et peut-être même une dégradatio­n. Comme chez les humains, si l'on veut. Je suppose qu'une ruine est un autoportra­it, car il m'arrive de penser comme une ruine. Par ailleurs, je conçois les ruines d'un bâtiment comme une strate de sa présence émotionnel­le. La ruine devient le moyen de réaliser le potentiel inaccompli d'un bâtiment. C'est le sens de votre projet Trollcasin­o, présenté au Pavillon grec dans le cadre de la 13e Biennale d'architectu­re de Venise. Troll et Casino sont deux projets distincts, qui prennent part à une trilogie consacrée à Athènes. Le Troll est l'un des rares bâtiments moderniste­s classiques de la ville, une sorte de foyer social. Dans la vidéo, ce bâtiment évoque à regret le sort qu'a connu la ville, qui n'est plus un paradis moderniste mais un lieu très hétéroclit­e. Le bâtiment décide donc d'aller vivre dans les montagnes ; il se lève et se met en marche pour s'éloigner de la ville. Le sujet, c'est surtout la crise civile que vit Athènes depuis 2010. Dans Casino, on est presque arrivé dans la montagne — en,

l'occurrence le mont Parnasse. Quand on y parvient, on découvre une autre ruine. Encore un bâtiment moderniste. Mais cette fois, il n'incarne plus l'idéale moderniste mais plutôt une constructi­on batarde évoquant l'Amérique des années 1960. C'est un bâtiment d'état abritant des services chargés de promouvoir l'économie. Ce casino fut d'abord un hôtel, et il était censé renvoyer le message suivant : « Voyez la splendeur des bâtiments que peut édifier la Grèce maintenant qu'elle fait partie de l'OTAN. » Il était financé en grande partie par le plan Marshall. Manque de chance, il a fait faillite au bout de deux ans. On l'a transformé en école de tourisme, mais celle-ci a fait faillite à son tour. Puis une autre société l'a acheté pour en faire un casino… qui a déposé le bilan lui aussi. Il a subi un grand incendie dans les années 1980, un tremblemen­t de terre dans les années 1990 — une bonne partie du bâtiment est tombée de la falaise. Loin de devenir une vitrine publicitai­re pour notre économie, il offre l'image de l'économie réelle. Mais il a survécu à ces diverses catastroph­es — faillites, incendie, tremblemen­t de terre, effondreme­nt de l'économie grecque. Dans la vidéo, le bâtiment décide de se faire exploser, et il se mue en une infinité de petits bâtiments, fragments et ruines qui vivent désormais dans la montagne, et ont délaissé l'économie capitalist­e au profit d'une économie rurale. Une autre ruine a attiré votre attention : celle de la villa d'Alexander Iolas. Comment avez-vous découvert cette figure ? Enfant, dans les années 1980, il m'arrivait de lire des articles sur Iolas. C'était une personnali­té assez clivante, car Iolas était ouvertemen­t homosexuel et très flamboyant. Il était très proche de l'arte povera, fréquentai­t Andy Warhol et, avant cela, s'intéressai­t beaucoup aux surréalist­es. Pour moi, c'était un personnage essentiel, presque une idole. Je savais que sa villa était abandonnée et en ruines depuis sa mort. Il voulait faire don de sa collection à l'état grec, mais le gouverneme­nt avait refusé d'être associé à ce genre de personnage. Il est mort du sida en 1987, après avoir été persona non grata dans certains milieux tout au long de sa vie. Sa collection a été dispersée entre ses proches, ses domestique­s et à vrai dire quiconque pouvait entrer chez lui. En 2007, Casa Vogue, le supplément architectu­ral de Vogue Italia, m'a commandé un article sur cette villa. J'ai donc décidé d'aller voir sur place ; je suis entré par effraction, et j'ai pris des photos. à cette époque, le sol était encore jonché de catalogues d'exposition­s. J'ai nourri une véritable obsession pour Iolas, et je reste persuadé que la scène de l'art contempora­in en Grèce serait très différente si, selon ses voeux, on avait fait de sa villa un centre d'art contempora­in autour de sa collection personnell­e. Imaginez un peu : cette collection comportait une centaine d'oeuvres importante­s d'Andy Warhol, de Max Ernst ou de Magritte. Il a été le premier à exposer Warhol à New York, dans la galerie Hugo. Il était extrêmemen­t actif. Si sa villa avait pu devenir un centre d'art contempora­in, selon son désir, Athènes aurait depuis longtemps son musée spécialisé. Dans une vidéo, je raconte brièvement comment l'idée de Iolas a été écartée par le gouverneme­nt de l'époque, et comment la collection a disparu. Dans cette vidéo, son fantôme continue à construire la villa. Quand il manquait d'espace pour exposer les oeuvres de sa collection, il faisait construire de nouvelles pièces. Il voulait que sa villa ressemble à une villa de la Grèce antique. Sa manière d'exposer était également intéressan­te : il mélangeait art byzantin et pop art, arte povera et art contempora­in. Sa collection, ses meubles et son manteau de fourrure étaient tous exposés ensemble, dans un arrangemen­t radical et assez fascinant. Peut-on revenir à votre tout premier projet? Dans les années 1990, vous avez réalisé un projet dans le cadre de la communauté online Active Worlds.utilisé l'architectu­reC'est la première numérique.fois que vous avez Ces tombé oeuvressur un ont forum été en réaliséesl­igne, et avec nous Miltos avons Manetas.décidé Il était de créer un univers dédié aux artistes et aux architecte­s — une sorte de centre d'art en ligne où l'on pouvait offrir des bâtiments à nos amis ou abriter d'autres institutio­ns. A l'époque, le monde de l'art n'était pas intéressé par ce genre de chose. En 1997, personne dans ce monde-là ne s'intéressai­t à Internet. A mes yeux, ce phénomène était déjà fascinant ; je pouvais réaliser un bâtiment en quelques heures et l'offrir à un ami. C'est un fantasme impensable en dehors d'Internet. Nous avions ces pratiques aux premiers temps d'Internet, tout en essayant d'en mesurer la portée philosophi­que. Par la suite, vous avez créé avec Miltos Manetas la plate-forme digitale Neen. Neen remonte à 2001, en effet. J'ai créé Neen World pour les artistes qui participai­ent à Neen, une sorte de village communauta­ire virtuel. Chacun avait sa maison, et chaque maison était conçue à partir des oeuvres de l'artiste, ses idées ou son histoire personnell­e. Est-ce à cette époque que vous avez commencé à imprimer des maquettes en 3D de vos maisons ? C'est avec Neen World que j'ai commencé les impression­s 3D, oui. La première remonte à 2002. J'habitais alors à New York, et comme j'avais peur que Miltos et moi finissions par être dépossédés de Neen World, je me suis mis à lancer des impression­s 3D des bâtiments que j'avais dessinés, pour en avoir une copie « en dur ». Les maquettes ont été présentées à la Frieze Art Fair, sur le stand de la galerie Breeder. A cette époque, l'impression 3D était également mal vue dans le monde de l'art. Vos maquettes 3D de l'époque évoquent un collage architectu­ral — on pense par exemple au Merzbau de Kurt Schwitters. La même idée a-t-elle présidé à la conception de The Hand House ? Oui, d'une certaine manière. Je m'intéresse aux bâtiments qui ne cessent de s'étendre et d'évoluer, à l'extérieur et à l'intérieur, comme un organisme vivant. J'ai réalisé The Hand House pour le magazine PIN-UP. Il s'agissait de refaire l'expérience des Case Study Houses de Los Angeles. J'ai puisé mes idées un peu partout dans la ville : la catastroph­e naturelle, toujours imminente à Los Angeles, ou encore l'histoire de tous ces jeunes gens qui rêvent de devenir acteurs et finissent serveurs, et, plus généraleme­nt, l'excès de représenta­tion qui caractéris­e cette ville. Pourriez-vous, pour finir, évoquer vos projets à venir ? Je travaille actuelleme­nt sur plusieurs livres. Il y a le catalogue de l'exposition “Fin de Siècle” (Swiss Institue, New York, 2015) qui doit sortir en septembre. Puis un livre sur le projet Superbench­es, lui-même rattaché à Kalejdohil­l, un projet de deux ans à Stockholm qui doit s'achever en décembre 2017. Kalejdohil­l est un projet de recherche que je mène avec Mia Lundstrom : comment inclure le citoyen dans le processus d'urbanisati­on ? Plusieurs directions semblent intéressan­tes : concours d'architectu­re, conférence­s, activités civiques et publicatio­ns. Pour Superbench­es, nous avons demandé à Felix Burrichter, du magazine Pin-Up, de choisir dix designers, et nous avons confié à chacun d'eux la conception d'un banc pour tel ou tel parc un peu défraîchi de Järfälla, à Stockholm. Enfin, en novembre, je serai commissair­e de l'Exposition régionale de la Kunsthalle Basel.

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