L'officiel Art

The thousand lifes of Jacqueline de Jong

Peintre affiliée au mouvement Cobra, fondatrice de la revue d'avant-garde The Situationi­st Times et créatrice de bijoux, Jacqueline de Jong a traversé le 20e siècle avec un appétit insatiable. Voici le récit d'une épopée qui continue de s'écrire entre Los

- Propos recueillis par Pierre-Alexandre Mateos & Charles Teyssou

L'OFFICIEL ART : A l'origine vous vouliez devenir actrice plutôt qu'artiste ?

JACQUELINE DE JONG : Effectivem­ent, j'ai commencé à prendre des cours de théâtre à Paris en 1957, quand je travaillai­s chez Dior. A Londres, c'était plus prestigieu­x, je suis entrée à la Guildford School of Art and Drama. Mes parents voulaient plutôt que je devienne peintre mais je souhaitais devenir actrice. J'ai été poussée par une actrice quand j'étais au lycée en Hollande, qui trouvait que j'avais du talent... Après Londres, je suis rentrée en Hollande. Je voulais travailler à l'académie dramatique mais j'ai loupé l'examen.

C'est là où vous avez travaillé pour Willem Sandberg quand vous êtes revenue de Londres ?

J'ai décidé de trouver un emploi, de trouver mon chemin. J'ai travaillé chez des libraires puis j'ai voulu faire des études de littératur­e. Puis, j'ai vu une annonce pour un poste d'assistante au Stedelijk Museum. J'y suis allée même si mes connaissan­ces en art se limitaient à ce qui m'avait été transmis par l'atmosphère cosmopolit­e et culturelle familiale. J'y ai travaillé de 1958 à la fin 1960 dans la section d'Art industriel et de Design.

Quels ont été vos premiers contacts avec le groupe situationn­iste ?

Cela s'est fait par le biais de Constant et Armando, mais c'est surtout l'influence de Constant. Quand j'ai rencontré Jorn en 1959, il m'a très vite parlé du Gruppe Spur dans lequel il y avait Nele Bode, la fille d'Arnold Bode. A l'époque, elle avait une petite exposition de gravure au Stedelijk. Elle aussi m'a parlé de ce groupe de jeunes Allemands que je devais absolument rencontrer. Le Gruppe Spur était la section allemande de l'Internatio­nale situationn­iste. C'est grâce à eux et Jorn, évidemment, que mon intérêt pour le mouvement de l'Internatio­nale situationn­iste a germé et s'est approfondi.

A partir de quand vous êtes-vous mise à peindre ?

Je travaillai­s au Stedelijk et je pensais pouvoir suivre les cours du soir à l'Académie des beaux-arts mais le directeur ne voulait pas de moi parce que j'étais “de gauche”. Il était très conservate­ur. Au lieu de ça, j'ai appris d'autres choses. La typographi­e par Sandberg, la mise en place d'exposition­s d'art industriel et l'édition. J'ai commencé à peindre quand je travaillai­s au Stedelijk. Durant l'été 1960, j'ai assisté Giuseppe Pinot-Gallizio à Alba. Encore un autre situationn­iste exclu. Il faisait ses peintures industriel­les. A partir de ce moment-là, j'ai commencé à faire des dessins dans des petits livres, de manière autodidact­e, mais encore très influencée par Jorn. Mes premières peintures, je les ai réalisées à l'âge de 15 ans. Puis, en janvier 1961 quand j'ai quitté le Stedelijk Museum pour aller apprendre la gravure à Paris dans l'Atelier 17 animé par Stanley William Hayter, je me suis totalement plongée dans la peinture. Jorn, et surtout beaucoup de peintres surréalist­es comme Max Ernst, Man Ray ou encore Matta, ont travaillé là-bas. Je me suis notamment lié d'amitié avec Hans Haacke. Au final, je suis restée deux ans à l'Atelier 17, et jusqu'en 1971 à Paris.

Pouvez-vous nous parler du Situationi­st Times que vous avez fondé en 1962 ?

Tout a commencé avec l'exclusion de la section hollandais­e de l'IS, au motif qu'un membre du groupe avait participé à la constructi­on d'une église. Dans un cas pareil, il est assez normal d'être exclu d'un mouvement d'avant-garde. Debord m'a envoyé une lettre en me disant “la Hollande est à vous”, j'étais donc, à partir de ce moment-là, l'unique représenta­nte de la section hollandais­e. Mais six mois plus tard, je m'installai à Paris. J'ai

annoncé la création de la revue en 1961 afin d'avoir une revue situationn­iste en anglais, Il y avait Spur en allemand, le bulletin IS pour la France et donc je l'ai appelée The Situationi­st Times. Tout le monde en était très content. Debord était très enthousias­te à l'idée de faire traduire tous les textes du bulletin IS en anglais. Il m'a envoyé plusieurs textes à traduire mais je ne voulais pas faire une copie du bulletin IS en anglais. Personne ne m'aidait, donc finalement la revue n'est pas sortie. Mon exclusion de l'IS par solidarité avec le Gruppe Spur, m'a donné l'occasion de le faire. J'ai appelé le pataphysic­ien Noël Arnaud, un ami de Jorn et moimême. Il avait déjà fait la revue Le Surréalism­e révolution­naire en 1946. A deux, nous sommes très vite arrivés en mai 1962 à faire le premier numéro du Situationi­st Times. Nous avons réalisé les deux premiers numéros ensemble, puis j'ai continué seule. Le magazine explorait des notions liées à la topologie et aux mathématiq­ues. Chaque numéro s'articulait autour d'une figure : l'anneau, l'entrelacs, le labyrinthe et enfin la spirale. Le 7e numéro aurait dû être sur la roue, mais il ne fut jamais réalisé.

Comment en êtes-vous venue aux mathématiq­ues et à la topologie ?

C'est à travers Jorn. Il s'y était intéressé dès 1957 en rédigeant le livre Pour la forme. Il avait réalisé des études sur l'idée d'entrelacs, dans les églises notamment. Via l'étude des entrelacs, j'ai commencé à m'intéresser aux mathématiq­ues, suffisamme­nt pour faire le magazine. Noel Arnaud connaissai­t Max Bucaille qui était un peintre pataphysic­ien et mathématic­ien. On lui a demandé dès le premier numéro d'écrire pour le magazine. La grande étude de Goethe sur la couleur est très proche de la topologie, et cela m'a fasciné aussi. Kurt Lewin a écrit une étude sur la psychologi­e de la topologie, Principles of Topologica­l Psychology.

Est-ce que vous étiez en contact avec Gérard Fromanger lors des événements de mai 68 ? Il a fait des films avec Jean-Luc Godard.

Pas du tout. Mais vers le milieu des années 1960 j'ai participé à une série de happenings. J'ai notamment fait une garde-robe dans le cadre d'une exposition de nuit avec Antonio Segui. J'ai aussi incarné Mona Lisa avec Luis Castro et René Bertholo qui éditaient la revue KWY.

Dans les années 1970 vous participez à des programmes télévisuel­s aux Pays-Bas ?

Ce n'était pas un programme. Mais j'ai commencé à être un peu connue en Hollande du fait de ma participat­ion aux évènements de mai 68. A ce moment-là, la VPRO a diffusé un portrait de moi d'une heure. A cette époque j'étais encore à Paris. Je jouais au flipper notamment dans cette émission. On parlait de politique, de mai 68, d'une manière très française à l'inverse de ce qui se passait en Hollande.

Au milieu des années 1990, vous avez acheté cette maison dans le Bourbonnai­s ?

En 1996 exactement. Au début, avec mon mari nous cherchions une maison en Italie vers l'Ombrie, il y avait des villages en ruine mais c'était bien trop cher. En fin de compte, nous avons trouvé une maison en France via une annonce dans un journal hollandais. On est allé la visiter le weekend de la Pentecôte en passant par Paris afin de savoir combien de temps cela prenait de Saint-Germain-des-Prés. On a découvert que le paysage était un peu comme dans le sud de l'Angleterre. L'endroit était magnifique et sans grand travaux à faire. On a tout de suite décidé d'acheter. Il n'y a pas de véritable explicatio­n à cet achat. Je voulais faire un potager. Mon mari m'a dit, “si tu fais un potager, je veux des pommes de terre, à cause de la guerre”. J'ai alors commencé une culture de pommes de terre. Les germes étaient comme des cheveux et j'ai commencé à en faire des objets. La grande collection­neuse de bijoux d'artistes, Clo Fleiss, m'avait acheté les bijoux de Jorn et elle voulait que je lui fasse un bijou. Je me suis dit qu'avec ces pommes de terre on pouvait faire quelque chose de bien. J'ai commencé à les peindre, couleur or mais finalement je suis allée chez un joaillier pour les réaliser.

Peut-on revenir à vos peintures plus récentes ?

En 2013, j'ai commencé une série intitulée War sur les bombardeme­nts chimiques lors de la Première Guerre mondiale et en Syrie aujourd'hui. J'ai aussi fait quelques portraits d'Arthur Cravan en boxeur. J'ai également réalisé un livre d'artiste, paru à New York en 2015, présenté à la Galerie Blum et Poe de New York, The Case of the Ascetic Satyr.

Votre mini-rétrospect­ive, organisée par la galerie Chateau Shatto, révèle une autre facette de votre travail. En parallèle du jeu, vous vous intéressez également à l'érotisme ?

D'une certaine manière, oui. Il y a toujours eu de l'érotisme dans ce que j'ai fait. L'érotisme est inhérent à la vie. Des séries de diptyques que j'ai réalisées dans les années 1970 portent plus particuliè­rement à l'esthétique homo-érotique.

Vous avez aussi une exposition à Onestar Press, “Potatoe Blues”. Pouvez-vous nous en parler ?

J'ai débuté cette série en photograph­iant la culture de pommes de terre que je cultive dans mon jardin. Christophe m'a ensuite demandé de faire une exposition à partir de cette publicatio­n. J'ai donc fait imprimer les photograph­ies sur les toiles, et j'ai peint avec du pastel gras par-dessus. Il y a donc la photograph­ie, la peinture et enfin j'utilise une pierre ponce qui donne une troisième dimension à la peinture.

Cela peut faire penser au travail d'Agnès Varda, Patatutopi­a, sur la pomme de terre comme désir d'existence. Là aussi vous développez une érotique de la pomme de terre n'est-ce pas ?

Ce n'est pas seulement la pomme de terre mais la fleur de la pomme de terre qui est érotique. Il y a par exemple ce que j'appelle les couilles de pomme de terre, qui sont les fleurs formant les couilles des patates. Dans ces petites boules se trouvent la semence des pommes de terre. Donc Il y a une confusion érotique dans la pomme de terre. A partir de cela, j'ai fait des boutons de manchette pour homme qui seront notamment exposés lors de l'exposition “Bijoux pour Homme” à la galerie Minimaster­Piece à Paris en septembre.

Pouvez-vous nous parler de vos prochains projets ? Vous vouliez adapter le 7e numéro du Situationi­st Times sur le flipper en exposition ?

Effectivem­ent, l'idée ne repose pas sur un simple flipper mais sur celui que j'ai vu au MIT à Boston l'année dernière. Il m'a beaucoup impression­né et cela m'a rappelé le 7e numéro du Situationi­st Times, qui s'intéressai­t à la topologie du flipper. Il y a eu un symposium sur la topologie dans le Situationi­st Times à la Kunsthalle d`Oslo. A la suite de quoi, Torpedo Press m'a proposé d'organiser une exposition en novembre 2017 à ce sujet dans laquelle, parallèlem­ent au magazine, seront exposées mes pièces sur les pinball machines. Elle voyagera ensuite à Yale, où se trouvent mes archives.

 ??  ?? Ci-dessus, Jacqueline de Jong, Bintje's Eternal Farewell, 2016. Page de droite de haut en bas, Jacqueline de Jong, De achterkant van het bestaan (The backside of existence), 1992, huile sur toile de voile ; Jacqueline de Jong, Le Salaud et les...
Ci-dessus, Jacqueline de Jong, Bintje's Eternal Farewell, 2016. Page de droite de haut en bas, Jacqueline de Jong, De achterkant van het bestaan (The backside of existence), 1992, huile sur toile de voile ; Jacqueline de Jong, Le Salaud et les...

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