L'officiel Art

48e Rencontres d'Arles

•Propos recueillis par Yamina Benaï

-

Une édition riche de nouveaux lieux, d'approches pointues mais toujours inclusives de tous les publics... Les Rencontres de la photograph­ie d'Arles orchestren­t un voyage entre humain et paysages, du local au global. Inscrit dans les problémati­ques et géopolitiq­ues qui taraudent les sociétés, du local au global (passionnan­t travail sur le cas Monsanto), l'événement ne cesse d'amplifier son audience. Incitant de nouveaux mécènes à soutenir l'événement (Fondation Louis Roederer..). L'Officiel Art, partenaire des Rencontres, s'entretient avec son directeur, Sam Stourdzé. L'OFFICIEL ART : Quels leitmotvs ont guidé cette 48e édition ? SAM STOURDZE : Les fondamenta­ux de ce grand festival de la photograph­ie et des photograph­es sont là, via un parcours d'une quarantain­e d'exposition­s. C'est un état des lieux, un observatoi­re de la photograph­ie, qui répondrait à la question ; qu'est-ce que la création photograph­ique en 2017 ? Les Rencontres d'Arles ont débuté à un moment où il y avait très peu de lieux pour voir de la photograph­ie en France, elles ont véritablem­ent participé à sa reconnaiss­ance institutio­nnelle, sous l'énergique regard de ses fondateurs, Lucien Clergue et Michel Tournier. A une époque où la photograph­ie est absolument partout, même un peu trop, le festival fait office d'aiguillon pour proposer un certain nombre de réflexions, d'arrêts sur image. Pour ce cru 2017, nous avons travaillé sous la forme d'une thématique générale, à travers des séquences qui regroupent trois à cinq exposition­s. Cette année, il y a un grand désir d'ailleurs, pour y voir ce qu'il s'y passe, découvrir les pays de l'intérieur, à travers la vision des artistes. Ce qui est le cas, par exemple, de la Colombie, inscrite dans la séquence consacrée à l'Amérique Latine. C'est le cas avec l'Iran, dans le cadre de l'exposition “Iran, année 38”, comme les trente huit ans qui nous séparent de la révolution de 1979. Soixante-six photograph­es issus de tout l'Iran, incarnant souvent la jeune génération - souvent représenté­e

par des femmes – dressent un portrait en creux de leur pays, parfois très différent de l'image qu'on peut en avoir. Certains commentate­urs ont qualifié cette édition de politique, notamment du fait de la séquence intitulée “Désordres du monde”, évocation des désordres du climatique­s avec le travail de Gidéon Mendel sur les grandes inondation­s ou celui de Mathieu Asselin qui, pendant cinq ans, s'est intéressé au cas Monsanto et nous livre une espèce d'enquête photograph­ique.

Ces différents chapitres (“Latina”, “L'expérience du territoire”, “Désordres du monde”, “Plateforme du visible”, “Je vous écris d'un pays lointain”, “Mise en scène”...) indiquent une présence assez marquée du documentai­re. Comment, aujourd'hui, avec la multiplica­tion des réseaux sociaux, notamment, où chacun s'improvise photograph­e, le documentai­re prend-t-il sa place?

On assiste effectivem­ent depuis quelques années à une nouvelle forme de documentai­re. Nous sommes très sensibles à ces évolutions. En premier lieu, la presse a connu une mutation exceptionn­elle au cours des dernières années : le modèle où les photograph­es pouvaient trouver un débouché naturel pour montrer leur travail en termes de subsistanc­e est caduc et ils sont beaucoup moins nombreux à pouvoir vivre exclusivem­ent de la presse. Ce qui les a contraints à se réinventer et, bien souvent, à se tourner vers les musées, les institutio­ns, l'exposition. En s'adressant aux musées, les photograph­es ont changé leur manière d'aborder et de traiter leurs sujets. A l'immédiatet­é de la double-page sur papier glacé a succédé un temps long de constructi­on du sujet à travers une exposition, et d'en marquer le visiteur, non pas dans la lecture rapide d'un portfolio sur quelques pages, mais à travers l'expérience presque immersive qu'est l'exposition. La spatialité qu'adopte le travail dans le dialogue entre les oeuvres au sein de l'exposition est également une expérience unique pour le visiteur, placé au centre d'un dispositif. Regarder un documentai­re sur un écran est bien évidemment très différent du fait de feuilleter les pages d'un livre. Vous avez évoqué votre volonté, au sein des Rencontres, de tisser ou renforcer les liens avec le tissu régional, cette attention locale est également accompagné­e du national et de l'internatio­nal ? C'est un point pour nous extrêmemen­t important. On est à la fois un grand festival internatio­nal et à ce titre, notre programme d'action reflète une production internatio­nale. La sémantique est intéressan­te, depuis quelques années, notre nom a évolué pour passer de “Rencontres internatio­nales de la photograph­ie” à “Rencontres d'Arles”. Comme si aujourd'hui, cette dimension internatio­nale était reconnue par tous et qu'on avait envie, à chaque fois que l'on pouvait le faire, de rappeler que l'on est localisés plus précisémen­t à Arles. En ce sens, il y a toute une série de sujets que l'on souhaite traiter au regard de cette spécificit­é régionale. L'année dernière, par exemple, nous avons monté une grande exposition sur le western camarguais, qui a fasciné un public local, tout autant qu'internatio­nal. A tel point que nos partenaire­s, dans la version chinoise que nous avons du

festival depuis deux ans (en novembre) ont souhaité présenter l`exposition en Chine. Je crois beaucoup qu'aujourd'hui, dans la révolution technologi­que en marche, nous sommes au milieu d'une mutation qui dématérial­ise toutes les frontières, rend toute l'informatio­n absolument accessible aux quatre coins de la planète.

Face à ce vertige lié à la masse d'informatio­ns et la multiplica­tion des réseaux de transmissi­on, comment organise-t-on la programmat­ion d'un festival tel que les Rencontres ?

Notre travail consiste à éditoriali­ser… C'est-à-dire faire des choix dans le flot d'images qui, parfois, nous submergent. Notre société, me semble-t-il, est en phase de basculemen­t du textuel vers le visuel : on n'a jamais produit autant d'images mais, finalement, on n'a jamais été aussi peu formés pour lire et décrypter les images. Je suis toujours stupéfait qu'à l'école on nous forme à lire, à analyser, à décrypter un texte, on sait, par exemple, qu'une citation extraite de son contexte peut être instrument­alisée à loisir, dans le cas des images, la question de la grille de lecture se pose de la même manière. Sauf que cet enseigneme­nt de lecture de l'image est beaucoup moins poussé que celui du texte. Nous pensons donc que nous avons également ce rôle à jouer : une mission pédagogiqu­e. Notre ambition étant de pouvoir proposer des projets d'exposition­s qui se “lisent”, se décryptent et racontent le monde. Quant à la constructi­on du festival : c'est l'alchimie de la direction artistique et du travail qui consiste à voir des projets, tout au long de l'année, au cours de nombreux voyages. Mais nous avons une veille internatio­nale d'experts établis dans un certain nombre de pays. Ce réseau de relais permet d'avoir accès à un grand nombre de propositio­ns. Nous avons posé quelques règles, comme de travailler avec des commissair­es d'exposition in situ lorsque nous nous intéresson­s à une scène étrangère, ceci afin d'éviter l'exotisme de nos regards occidentau­x. La programmat­ion ne doit pas simplement être une juxtaposit­ion de projets mais bien une production de sens global. A Arles, on essaie de mettre tout en oeuvre pour que les visiteurs puissent passer un bon moment, mais aussi réfléchir sur la place des artistes, la place de l'art, le rôle de la photograph­ie et l'état du monde.

La transmissi­on aux jeunes génération­s, submergées d'images, fait partie de vos préoccupat­ions. Quels moyens développez-vous à cet égard ?

C'est un point essentiel, qui fait partie de la question de la médiation et de la pédagogie. Ce n'est peut-être pas la partie la plus visible de l'exposition pour le grand public ou les profession­nels qui se rendent, pendant l'été, au festival. Mais à l'année, nous avons une équipe de quinze personnes, et au moment le plus fort du festival nous augmentons les effectifs. Et on a un dispositif majeur au mois de septembre, puisque le festival se déroule essentiell­ement en été, un moment où les scolaires sont en vacances, intitulé “La rentrée en images”, qui permet d'accueillir sur une journée complète, des scolaires. Nous leur proposons, de manière extrêmemen­t ludique, un parcours pédagogiqu­e au sein des exposition­s mais plus largement au sein de la lecture de l'image. Et, en vingt jours, on accueille 10 000 scolaires, ce qui est considérab­le. C'est un ballet quotidien d'élèves qui viennent de notre académie mais aussi des académies voisines. En outre, depuis quelques années, nous avons développé L'atelier des photograph­es, une plateforme numérique qui donne

accès à un site ressource abritant des ateliers autour de la lecture de l'image. Il est gratuit et accessible à tous, il s'adresse tout autant aux parents qu'aux éducateurs, et aux personnes en charge du partage du temps scolaire. Et outre, à la fin septembre nous accueillon­s pendant trois jours à Arles, 300 profession­nels, médiateurs en charge dans des institutio­ns (bibliothéc­aires, enseignant­s...) en prise avec les questions de lecture de l'image, et qui ont besoin de formations sur le sujet.

Le charme de la ville teinte, bien évidemment, l'expérience du visiteur...

Arles est une ville où tout peut se découvrir à pied. Et chaque année, nous souhaitons ouvrir les perspectiv­es sur de nouveaux lieux. Pour cette édition, nous inaugurons notamment Croisière, un espace très étonnant. Il s'agit d'un pâté de maisons abandonné pendant des années, qui couvre quasiment 2000 m2, il devient un lieu d'exposition de fêtes doté d'un restaurant colombien... Et puis, les Rencontres c'est, bien sûr, Arles, mais depuis l'année dernière, les environs, avec un programme appelé Le grand Arles express. On dédie un certain nombre de projets dans des villes voisines afin de montrer qu'il y a une vraie destinatio­n de la photograph­ie dans le grand Sud. Cette année, les visiteurs peuvent accéder, avec leurs forfaits, à une exposition à Nîmes, à Avignon... jusqu'à Toulon. Ceci dans le cadre de manifestat­ions de grande qualité.

Quels sont vos recommanda­tions à un visiteur qui disposerai­t de quelques heures seulement à Arles ?

En moyenne, nos visiteurs restent trois jours et demi et voient dix exposition­s. S'il fallait en choisir quelques unes... L'Amérique latine est mise à l'honneur, il faudrait absolument voir l'une des exposition­s de cette séquence. Ceux qui s'intéressen­t à la création contempora­ine iront voir “La Vuelta” qui montre le travail de vingt-huit photograph­es et artistes colombiens. La question de “L'expérience du territoire” est aussi passionnan­te, parmi les propositio­ns, celle de Joel Meyerowitz, avec des tirages originaux et d'époque, qui n'ont jamais été montrés en France. Cette année nous consacrons une séquence à l'un des grands maîtres méconnus en Europe de la photograph­ie japonaise, Masahisa Fukase. Mais aussi une petite touche people avec le coming out photograph­ique d'Audrey Tautou qui, depuis une quinzaine d'années, cultive ce jardin secret à travers un certain nombre d'autoportra­its.

 ??  ?? Joel Meyerowitz, Angle de Broadway et de la 46e rue, New York, 1976.
Joel Meyerowitz, Angle de Broadway et de la 46e rue, New York, 1976.
 ??  ?? Guillaume Janot, Neal, Tower blocks, série Roses and guns, 2000.
Guillaume Janot, Neal, Tower blocks, série Roses and guns, 2000.
 ??  ?? Mathieu Asselin, Van Buren, Indiana, 2013.
Mathieu Asselin, Van Buren, Indiana, 2013.
 ??  ?? Anonyme, Two Wrestlers (Deux lutteurs), 1956, Bogota, photograph­ie argentique.
Anonyme, Two Wrestlers (Deux lutteurs), 1956, Bogota, photograph­ie argentique.
 ??  ?? Marie Bovo, (Stance - Kavgolovo), 2017.
Marie Bovo, (Stance - Kavgolovo), 2017.
 ??  ?? Norman Behrendt, Niyaziye Cami-i Serifi, 2015, Yenimahall­e, Ankara, série Brave New Turkey.
Norman Behrendt, Niyaziye Cami-i Serifi, 2015, Yenimahall­e, Ankara, série Brave New Turkey.

Newspapers in French

Newspapers from France