L'officiel Hommes

Le “Keepall” de Louis Vuitton

- Iconique Auteur ADRIAN FORLAN

Aux distraits et aux nouveaux venus, rappelons en deux mots ce que doit la maison Louis Vuitton aux voyages. Fondée en 1854 par Louis Vuitton, elle s’attache à honorer une devise (“Tout bagage doit allier grande mobilité et légèreté”) en proposant une radicale malle plate, plus pratique, convenons-en, que celles au couvercle bombé alors en vigueur. Phileas Fogg, sans doute, en emportait une ou deux dans sa montgolfiè­re. La famille Vuitton poursuivra dans cette veine, nomade et irréprocha­blement élégante – entraînant dans son sillage des imitateurs, dont elle se distinguer­a en 1896, lorsque Georges Vuitton conçoit une toile faisant alterner les initiales enlacées LV, des pointes de diamants, des étoiles et des fleurs quadrilobé­es. En 1905, le brevet de la toile dite Monogram est déposé. De décennie en décennie, de commande spéciale en commande spéciale, la maison inventera, réinventer­a, réagencera, cet héritage unique, sachant bien que refuser l’évolution, c’est se condamner à flétrir. Sautons allègremen­t les époques pour atterrir en 1959, et retrouvons Gaston-louis Vuitton. De la fin du XIXE siècle, ce représenta­nt de la troisième génération, jusqu’à 1959, oeuvrera à dynamiser ce qui est déjà une marque mythique. Ainsi, avec son fils Claude-louis, ils mettent au point une toile, allégée, se pliant avec bienveilla­nce aux aléas du voyage. C’est justement de cette avancée que profitera au premier chef le “Keepall”*, qui peut également se flatter d’être le premier sac de voyage souple à bénéficier de la toile Monogram (les malles, alors seules à en être parées, ne le prirent pas mal. Les voyageurs sont de grands partageurs d’émotions, et leurs bagages leur ressemblen­t). À sa naissance, en 1924, il se plaçait à l’intérieur des malles, en qualité de sac d’appoint. D’appoint, peut-être, mais essentiel : son nom le dit bien, il gardait tout. En 2017, le “Keepall”, fidèle à sa vocation innovatric­e, se présentera à l’occasion de la course Louis Vuitton America’s Cup avec une toile Damier Cobalt Damier Latitude, une version luxueuse et sportive de la toile Damier Cobalt datant de 1901, et frappée pour la première du “V Gaston”. Adressant des clins d’oeil nautiques (ses tirettes, une fermeture éclair en matière technique hydrofuge), et retravaill­ant son héritage, avec une lecture oversized du Damier Cobalt. Bien sûr, la performanc­e technique d’un sac, l’aisance avec laquelle il se glissera dans notre quotidien, le plaisir à l’embarquer le temps d’un week-end fainéant, font beaucoup pour son charisme. S’il nous émeut, c’est aussi parce qu’il cache bien des émotions, comme la lampe d’aladin, frottons-le, ou plutôt ouvrons-le, et admirons ce qui s’en échappe, de charmants ectoplasme­s insouciant­s, évoquant des temps plus légers, des pétillemen­ts inextingui­bles. Sans doute sa légèreté matérielle a déteint sur son caractère, dans une métonymie imprévue… Se patinant avec grâce (nous rendant assez jaloux), il n’est pas étonnant que le “Keepall” soit une star des enchères dédiées à la maroquiner­ie, ou un des favoris des artistes invités par la maison pour revisiter leurs intemporel­s (Murakami, Sprouse). Et pourtant, s’il y a un seul sort à réserver aux objets aimés, animés par notre patience, c’est de bien les préserver pour les transmettr­e et leur offrir un destin semblable à L’ADN de sa maison : un éternel recommence­ment, vivifié par les mains fraîches s’en emparant, revitalisé par la nouvelle épaule le portant. Il en va du “Keepall” comme d’un précieux savoir, qu’il serait bien égoïste de ne garder que pour soi. En être le propriétai­re éphémère est un honneur à transmettr­e – pas un acte de propriété dont la date de péremption coïncidera­it avec la nôtre. Certains luxes apprennent l’humilité, et ce n’est pas le moindre de leurs mérites.

* Sac “Keepall” en toile de coton ayant appartenu à Gaston-louis Vuitton, vers 1930.

Disponible à partir de mars.

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