RYUICHI SAKAMOTO, L’OISEAU ENCHANTEUR
De retour avec “Async”, album somptueux, le compositeur japonais nous livre le combat qu’il a mené à la fois contre la maladie et pour renouer avec la créativité.
Les oiseaux chanteurs ne donnent jamais de rendez-vous. S’il est possible de les classer par régions et par espèces, quand il s’agit de chanter, là, ils sont plus capricieux selon l’appréciation qu’ils ont du premier jour de l’été. Pour cette raison, quand Ryuichi Sakamoto a retrouvé son studio new-yorkais, après avoir signé la BO du film The Revenant d’alejandro González Iñárritu, il a été confronté à un silence oppressant.
Une année sans écrire
La vie du compositeur japonais de 65 ans n’a pas été de tout repos. Sa musique proto-électronique avec la trio Yellow Magic Orchestra dominait les charts à la fin des années 1970 – et encore récemment. En 2014, un cancer de la gorge lui a été diagnostiqué, et stoppa net la préparation d’un nouvel album. Les synthétiseurs de son studio du West Village prenaient la poussière alors qu’il suivait un traitement agressif. “Pendant quelques mois, j’ai énormément souffert. Pas seulement parce
que j’étais proche de la mort, mais aussi parce que je n’arrivais même plus à écouter
de la musique.” Les médecins traitèrent sa maladie avec une telle puissance qu’avaler lui était douloureux et parler, une torture. Une année passa sans qu’il puisse écrire quoi que ce soit. Mais un jour, il entendit chanter les oiseaux. Cette simple mélodie lui fit comprendre qu’il était de nouveau temps d’écouter de la musique. “Les compositeurs adorent les oiseaux chanteurs. Olivier Messiaen les aimaient et à chaque fois qu’il voyageait, il retranscrivait sur une partition ce qu’il entendait.” Ce chant marquait pour lui une nouvelle saison de sa vie. Et qu’il était prêt à composer à nouveau. “Un jour, l’envie m’est revenue, notamment d’écouter tout un pan de la musique que je n’écoutais pas jusqu’alors. Je me suis plongé dans Gustav Mahler et Gabriel Fauré.” Avec cette nouvelle approche, il se tourna également vers des créateurs contemporains. “UN AMI DE MES ENFANTS ME fit DÉCOUVRIR DES gens talentueux comme Arca, Yves Tumor.”
Une pile de vinyles
Bientôt, il reçut un appel d’alejandro González Iñárritu, le réalisateur mexicain, pour qui il avait déjà écrit la musique de
Babel dix ans auparavant. Dans la foulée du succès de Birman, Iñarritu venait d’engager Leonardo Dicaprio dans The Revenant pour le rôle qui lui vaudra son premier Oscar. “Hollywood m’inspire des sentiments contradictoires, d’amour et de haine. Lorsqu’un cinéaste aussi talentueux qu’alejandro González Iñárritu me sollicite, je ne peux pas résister. Il y a des gens charmants et intelligents dans ce milieu. Mais il y en a D’AUTRES AVEC LESQUELS IL EST DIFFICILE DE PARLER. Et il faut satisfaire d’autres personnes, le scénariste, le producteur. Et pas nécessairement MOI-MÊME… MAIS FINALEMENT, JE DOIS BIEN rendre ma copie.” Il a fait des studios légendaires de Capitol Records sa maison. Dans cet immeuble de Los Angeles construit pour évoquer une pile de vinyles, Nat King Cole, Frank Sinatra, Katy Perry ou Sam Smith ont enregistré.
“Un lieu idéal, où l’on pouvait ressentir toute l’histoire de cette maison de disques. Je n’y ai apporté que le minimum, deux synthétiseurs analogiques et un ordinateur équipé de Protools.” Après une période de repos, il prit la direction de New York pour écrire un nouvel album. “Un jeune musicien se contente aujourd’hui d’un ordinateur puissant et d’un bon synthé analogique. J’essaie d’avoir le moins possible recours aux technologies. Je préfère écrire de la musique à la manière d’un peintre ou d’un sculpteur, en mettant des objets sonores sur une toile vierge. Une couleur ici, une autre là. J’aspire à cela.” Une seule chose n’a pas changé dans sa démarche : “Mon synthétiseur Prophet 5 de Sequential Circuits… Je l’ai depuis quarante ans !” Il lui offre un son singulier et un contrôle absolu, sans l’instabilité saccadée du digital, lui permettant ainsi de sortir de son esprit les sons désirés, de les retranscrire sur la partition qu’il partagera avec l’orchestre.
capter la vie des rues
En juillet 2016, il participa à Paris à l’installation Plankton de Christian Sardet à la Fondation Cartier. La découverte de chants d’oiseaux, qu’il n’avait jamais entendus ailleurs, lui insuffla une nouvelle énergie. “J’ai pris l’habitude d’enregistrer mon environnement lors de mes promenades, devant des écoles maternelles, dans les marchés parisiens autour de Montparnasse, de capter la vie des rues.” La musique naturelle l’excitait. Perfectionniste, Sakamoto apprit à se
laisser aller. “JE N’AI PAS fini VÉRITABLEMENT cet album. J’ai plutôt décidé de ne plus me perdre à ajuster des détails. Les premiers coups de pinceau d’un artiste ont un impact immanquablement puissant. Ajouter obsessivement couches de peinture après couches de peinture affaiblit son aura. Et quand elle est perdue, il est impossible de la retrouver. J’ai fait très attention à ne pas m’agripper à mon pinceau en enregistrant.”
Magnifique, Async témoigne d’une nouvelle maturité : “Si vous écoutez attentivement, vous n’avez pas besoin de beaucoup de sons. NE PRÊTER ATTENTION QU’À UN SEUL PEUT SUFFIRE. J’ai besoin de laisser des espaces vierges, pour permettre de respirer plus librement.” Et quand vous avez de l’espace pour respirer, vous pouvez entendre les oiseaux chanter…
Traduction Fabrizio Massoca Nouvel album, Async (Milan Records). www.sitesakamoto.com