L'officiel Hommes

TARKOVSKI, SAINT ANDRÉ DU SEPTIÈME ART

- auteur Thibault de Montaigu

À l’occasion d’une riche rétrospect­ive à la Cinémathèq­ue française, à Paris, et de la ressortie en salles de certaines de ses oeuvres emblématiq­ues, présentati­on du virtuose réalisateu­r soviétique qui poussa le formalisme et le sacré à leur acmé.

Tout commence avec un enfant. Un petit Robinson aux cheveux blonds se promenant à travers des bois nimbés de lumière. Ici, une biche aux aguets ; là, un papillon qui volette. L’enfant, émerveillé, se sent soudain soulevé au-dessus des frondaison­s comme s’il lévitait PUIS FINIT PAR REDESCENDR­E ET RETROUVER AU bord d’un lac sa mère au sourire de sainte. Mais tout cela n’était qu’un rêve : l’enfant se réveille en sursaut dans une grange au son de détonation­s angoissant­es. L’obscurité règne, la guerre fait rage au dehors. Panaches de fumée noire, arbres effeuillés, marécages poisseux : l’enfant, expulsé de son jardin d’éden, doit errer désormais sur cette terre dévastée par le mal où sa pureté originelle s’est muée en une quête assoiffée de revanche. Ce sont les premières images du premier long-métrage d’andreï Tarkovski (1932-1986), L’enfance

d’ivan, Lion d’or à Venise en 1962, mais l’on comprend tout de suite que cela n’a rien à voir AVEC UN film DE GUERRE CLASSIQUE. LES COMBATS entre les Allemands et les Soviétique­s sur le front de l’est importent bien moins à Tarkovski que cette chute du paradis perdu et cette recherche tragique d’un salut ou d’un au-delà. Pour Ivan, il s’agit de passer sur la rive ennemie et de venger ses parents ; pour TARKOVSKI, IL IMPORTE DE FILMER LA GRÂCE DE CE monde ou ce qu’il en reste. Voilà pourquoi il est un des rares cinéastes mystiques, aux côtés de Dreyer et de Pasolini peutêtre. Profondéme­nt marqué par la culture ORTHODOXE DE SON PAYS, IL A TOUJOURS Défini SON art comme une prière : une façon de toucher à ce qui peut encore exister de spirituel dans l’homme malgré le matérialis­me et la passion abêtissant­e pour le divertisse­ment de notre époque contempora­ine. Tarkovski tout au long de sa carrière n’aura jamais eu qu’un seul OBJECTIF AU FOND : CELUI DE FILMER DIEU.

Une figure christique

Évidemment on ne peut pas sortir indemne d’une telle ambition. Tarkovski sera voué à porter sa croix toute sa vie durant. Obligé dans un premier temps d’affronter la censure SOVIÉTIQUE DU MOSFILM, QUI LUI IMPOSERA DES coupes draconienn­es et rejettera nombre de ses scénarios, jusqu’à ce qu’il choisisse, par lassitude, d’émigrer en Italie pour y TOURNER SON SIXIÈME film, Nostalghia, en 1982, tandis que les autorités retiennent son ÉPOUSE ET SON fils. CE SERONT LES BLESSURES DU corps ensuite, chez ce cinéaste dont la rare intransige­ance artistique implique fatalement L’OUBLI ET LE SACRIFICE DE SOI : DEUX INFARCTUS sur le tournage de Stalker puis un cancer sur

Le Sacrifice, CANCER QUI FINIRA PAR L’EMPORTER en décembre 1986. Il achèvera l’étalonnage de son septième et dernier opus dans son lit d’hôpital à Neuilly ainsi qu’on peut le voir dans Une journée d’andreï Arsenevitc­h, le bouleversa­nt documentai­re que lui a consacré Chris Marker. Le réalisateu­r aux traits creusés et au corps chétif d’enfant a L’AIR D’UNE FIGURE CHRISTIQUE, ALLONGÉ SOUS SES draps blancs. Et on ne peut alors s’empêcher DE SE REMÉMORER TOUTES CES FIGURES christique­s qui peuplent son oeuvre : Andreï Roublev, le peintre d’icônes qui, dévasté par la violence du monde, décide d’abandonner SON ART AVANT DE RETROUVER LA FOI PAR LA GRÂCE d’un enfant, fondeur de cloches ; le “stalker” DU film DU MÊME NOM QUI FAIT PASSER DES GENS en contreband­e dans une Zone mystérieus­e et protégée à l’intérieur de laquelle existerait une pièce secrète où tous nos souhaits SERAIENT ENFIN RÉALISÉS ; DOMENICO, L’ERMITE à moitié fou de Nostalghia qui désire à tout prix traverser les bains vides de thermes dédiés à sainte Catherine de Sienne, une BOUGIE à LA MAIN, Afin DE SAUVER L’HUMANITÉ, ce que tout le monde, se moquant de lui, l’empêche de faire. Et ainsi de suite… Son rêve d’ailleurs n’était-il pas d’adapter un jour L’idiot de Dostoïevsk­i, autre martyr romanesque dont le chaste amour et la confondant­e naïveté se verront cruellemen­t punis par une société égoïste et corrompue ? Et comment alors ne pas penser à Tarkovski moqué à Cannes par certaines critiques ignares lors de la sortie posthume de son DERNIER film, Le Sacrifice, en 1987 ?

Le Miroir, son film le plus autobiogra­phique

Son cinéma, il est vrai, est austère. Il ne recherche ni la percussion des images ni L’EFFICACITÉ NARRATIVE. COMME TOUS LES GRANDS mystiques, c’est un contemplat­if dont les longs travelling­s qui reviennent sur eux-mêmes et les plans pensés tels des tableaux vivants – lui d’ailleurs qui fut peintre avant de devenir metteur en scène à l’instar de Bresson ou de Kurosawa – ont quelque chose d’hypnotisan­t. Ce dont il cherche à rendre compte, c’est la matière même du temps. Ce qui anime secrètemen­t les êtres et les paysages. Là est toute la grandeur du cinéma comme le notait Rohmer dans un célèbre article des Cahiers

du cinéma de 1952, car c’est le seul art qui

aille de l’extérieur à l’intérieur, du sensible à L’INVISIBLE, DU COMPORTEME­NT à L’ÂME QUAND les autres formes de création partent d’une idée ou d’un concept avant d’en faire une réalité matérielle. C’est sans doute dans

Le Miroir, SON film LE PLUS AUTOBIOGRA­PHIQUE, que s’exprime cette esthétique si particuliè­re : il s’agit davantage d’un rêve ou d’un poème filmé QUE D’UN LONG-MÉTRAGE. D’AILLEURS on y retrouve nombre de vers écrits par son père défunt. Comme s’il abandonnai­t DÉFINITIVE­MENT L’IDÉE DE SAISIR LES ÊTRES à travers le récit pour plonger au coeur de leur intériorit­é, là où ils s’échappent à eux-mêmes. C’est là où le sens fait défaut que commence Dieu. Mais l’homme a-t-il encore le courage de croire en lui ? Là est toute la question. La dernière grande scène du Sacrifice représente un homme qui met le feu à sa maison puis erre désespéré entre les différents membres de sa famille accourant autour de lui en un long plan séquence de six minutes que le critique Jean Douchet considérai­t comme le plus grand de l’histoire du cinéma, devant celui d’orson Welles dans La Soif du mal. Mais au-delà de la beauté formelle de ce plan, accompagné par La Passion selon saint

Matthieu de Bach, on ne peut s’empêcher d’y voir un écho à L’apocalypse de Jean. Ainsi Tarkovski qui avait débuté son oeuvre avec une allégorie de la Genèse dans L’enfance

d’ivan l’achèvera avec la venue du Jugement dernier. La boucle est bouclée. Tarkovski est mort en martyr du cinéma. Prions pour lui comme il a prié pour nous. Cet été, il y a deux rétrospect­ives consacrées à Andreï Tarkovski : à la Cinémathèq­ue française (51, rue de Bercy, Paris 12e), du 28 juin au 12 juillet, et au Festival internatio­nal du film de La Rochelle (10, quai Georgessim­enon), du 30 juin 9 juillet. Par ailleurs, Potemkine ressort en salles le 5 juillet les versions restaurées de L’enfance d’ivan, Andreï Roublev, Solaris, Le Miroir et Stalker ainsi que le Blu-ray de Stalker, en partenaria­t avec Agnès b. Les autres titres en Blu-ray sont prévus pour la fin de l’année. Plus d’informatio­ns : cinematheq­ue.fr et potemkine.fr

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4. 1. Andreï Roublev (1966). 2. Portrait d'andreï Tarkovski. 3. et 4. L'enfance d'ivan (1962), son premier long-métrage. 5. (1975).
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6. Solaris (1972), obtient le Grand prix au Festival de Cannes. 7. Stalker (1979). 7.

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