L'officiel Hommes

M. KRIS VAN ASSCHE

Depuis dix ans à la tête de la direction artistique de Dior Homme, il donne à la maison française une identité toute en vivacité, netteté et puissance. Nous avons rencontré le créateur belge à l’occasion d’une présentati­on à Tokyo de sa collection automne

- auteur Baptiste Piégay

Vous souvenez-vous de votre état d’esprit à LA VEILLE DE VOTRE PREMIER Défilé POUR DIOR Homme ?

Kris Van Assche : Je l’avais déjà fait pour ma marque, j’étais donc familier de cette excitation. Mais l’enjeu ici était plus compliqué, je savais que l’on m’attendait avec des “bazookas”. C’était excitant, car je me sentais soutenu par mon équipe et mon entourage, alors que j’entendais les lions dehors… J’arrivais dans une maison d’où Hedi Slimane était parti alors qu’elle était au top. Soit je faisais pareil que lui, et on m’aurait accusé de plagiat, soit je faisais quelque chose de complèteme­nt différent, au risque de décevoir les gens qui ne voulaient pas que cela change.

Quels souvenirs gardez-vous de vos études ?

D’excellents ! Je venais d’un village non loin d’anvers, et j’ai vécu cette arrivée à la ville, à 18 ans, comme une libération. À l’académie royale des Beaux-arts, il y avait des étudiants en stylisme, mais aussi des sculpteurs, des peintres, des photograph­es, des graphistes. C’était comme si le monde s’ouvrait à moi. On travaillai­t et on s’amusait énormément… Tim Coppens, Haider Ackermann, Bernhard Willhelm étaient mes compagnons d’étude.

Avez-vous le sentiment d’appartenir à une génération de créateurs ?

Je ne suis pas sûr… Après l’époque des six d’anvers puis de la deuxième vague, je suis de celle où on a arrêté de compter les designers belges !

Quels étaient vos modèles ?

Quand j’avais 13 ans, la mode était aux créateurs spectacula­ires, Mugler ou Gaultier. J’ai ensuite découvert une mode à Anvers qui me paraissait plus accessible. Je pense à Ann Demeulemee­ster, à Martin Margiela. Ce sont ensuite les créateurs japonais – Comme des Garçons ou Yamamoto – qui m’ont marqué.

Avez-vous construit votre style par opposition aux créations en vogue des années 1980 ?

Non, je ne crois pas. Ce côté extrêmemen­t coloré, décadent me faisait rêver. On est attiré par ce qu’on n’est pas.

Comment décririez-vous l’évolution de votre métier ?

Pour avoir une médaille aux JO, il faut s’entraîner tous les jours. Dans la mode, c’est pareil. C’est très intense, je ne prends rien à la légère, même si nous vivons dans un univers qui permet une certaine légèreté.

Pourriez-vous nous décrire votre méthode de travail ?

À l’image de mon titre, je donne la direction artistique. Je n’ai jamais pensé que j’étais seul à travailler, ce qui serait idiot et impossible. J’ai un petit cercle de COLLABORAT­EURS TRÈS PROCHES – DES FIDÈLES. JE VAIS DONNER LE TON, POUR DÉFINIR LE POINT de départ et mettre la machine en route. Le studio, c’est la partie créative ; l’atelier a une autre fonction : je peux parler d’un volume, d’un col de veste, d’une manche, et il va réagir en fonction. J’aime penser que le croquis est une ébauche, on peut le négocier… Le point de départ, ça peut être tout et son contraire… Cela peut être une réaction à la saison précédente. Il y a bien sûr mes envies personnell­es, sur une coupe, par exemple. Cela peut être une exposition, la découverte d’un artiste, la remarque d’un ami. Je travaille dans une certaine continuité, sur l’évolution d’une personnali­té, et cela me donne une base solide. Chaque collection apporte une nouveauté, mais j’ai le souci de cette cohérence, très naturellem­ent. On apprend, on s’améliore, on creuse, on ajuste. Pour moi c’est très naturel.

TENEZ-VOUS COMPTE DE L’INFLUENCE CROISSANTE des réseaux sociaux ?

J’entretiens une relation d’amour et de haine avec eux. Quand j’étais jeune, l’informatio­n, SURTOUT EN MATIÈRE DE MODE, ÉTAIT DIFFICILE d’accès. Aujourd’hui, c’est l’inverse et on ne peut pas déplorer que tout le monde puisse s’éduquer. Mais que la société demande que tout soit compréhens­ible via une simple photo carrée me paraît très cruel, cela manque de profondeur. Je ne travaille pas pendant six mois à une collection pour que les gens soient sommés de tout comprendre en un clin d’oeil.

Quel est le temps juste de la mode ? Celui de la patience ou de l’instantané­ité ?

Je crois surtout qu’il faut arrêter de vouloir que tout le monde – et tout – se ressemble. Il y a un amalgame entre le streetwear, le sportswear, le mass-market, le haut de gamme… Les collaborat­ions y sont pour quelque chose, comme la communicat­ion tous azimuts. Il faudrait rétablir ce qui nous distingue, nous caractéris­e. Je ne suis pas capable de fournir du fast-fashion. Nos exigences de fabricatio­n et nos critères de qualité ne le permettent pas. Brouiller ces lignes de distinctio­n serait une grande folie, cela irait contre notre identité. Dès lors que je me lance dans des innovation­s, qu’il s’agisse de techniques de broderies, sur les tissus, etc., cela implique des périodes de tests, parfois longues mais absolument nécessaire­s.

Quelle part occupe l’aspect recherche et développem­ent ?

Elle est intimement liée à ce que nous faisons sur le long terme : nous sommes impliqués dans un processus permanent, qui ne s’arrête pas avec la présentati­on d’une collection. Je travaille sur quatre collection­s par an, et la plupart du temps j’en mène deux de front. Il y a certains points que je ne peux pas développer pour la saison à venir, mais qui seront mûrs pour celle d’après. J’ai la chance de travailler avec le studio pour la créativité et avec l’atelier pour les aspects techniques, jusqu’aux usines, à qui on PEUT SOUMETTRE DES Défis, DE MÊME QU’AUX fabricants des tissus.

Est-ce que votre vocabulair­e est désormais figé ?

Quelle horreur ! Mais je ne me pose pas la question : je ne regarde pas plus loin en arrière que la précédente collection, et pas plus loin en avant que celles à venir. Je suis dans l’instant, ce qui est déjà pas mal. Si l’on m’avait dit, il y a trois ans, que j’allais faire des skateboard­s, j’aurais éclaté de rire. Je cherche toujours le contraste entre la tradition de tailleur, au coeur de L’ADN de la maison, et le côté street, mode et sport, le mien. Quand j’ai envie de pousser très loin le curseur mode, je vais contrebala­ncer en allant loin dans la partie sport. C’est cette friction qui donne au tailleur sa modernité.

Y a-t-il des pièces dont vous êtes PARTICULIÈ­REMENT fier ?

Je ne suis pas passéiste… Dans la collection automne 2017 présentée à Tokyo, j’aime bien la façon dont l’inspiratio­n de la scène new wave, avec des références romantique­s, marquées années 1980, rencontre des éléments très sport. J’aime cette hybridatio­n D’INFLUENCES DIVERSES… CELA ME PARAÎT JUSTE, et c’est l’anti-carré Instagram !

Comment travaillez-vous sur les campagnes et le casting des égéries ?

Si on veut du sens, il faut une connexion authentiqu­e. Par exemple, il y avait toujours des photos signées Larry Clark sur mes moodboards, eh bien, après m’être demandé si j’allais prendre pour la campagne les garçons qu’il photograph­iait, l’évidence s’est IMPOSÉE : C’EST LUI QUI DEVAIT Y FIGURER. QUANT au choix D’A$AP Rocky, sa culture mode est encyclopéd­ique. Lorsque Boy George était l’égérie, je trouvais étrange que les gens semblaient redécouvri­r les questions de genre… C’était aussi un moment où il y avait des tensions, où la tentation de repli SUR SOI SE PROFILAIT. ET, POUR MOI, IL INCARNAIT comme beaucoup d’autres, l’expression libre de l’identité et sa célébratio­n.

La mode pourrait donc tenir un discours sociétal ?

Elle ne doit pas devenir trop politique, mais comme culture elle a un rôle à jouer, surtout dans des périodes où l’exclusion de l’autre et la fermeture sur soi sont des tentations. Elle est là pour rappeler et exalter le mélange des cultures et des différence­s.

Est-ce que vous pensez que la mode MASCULINE EST PLUS CODIFIÉE ?

Oui, parce que je suis convaincu que les hommes aiment les codes pour faire partie D’UN GROUPE. C’EST TRÈS RASSURANT : IL SUFFIT d’observer les règles… J’aime beaucoup jouer avec, c’est libérateur.

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