L'officiel Hommes

Juste parfait

Billy Crudup en Berluti

- Cover story Auteur JEAN-PASCAL GROSSO Photograph­e TAKAY Styliste MARK HOLMES

auteur Jean-pascal Grosso, photograph­e Takay, styliste Mark Holmes

“Dès le jour où j’ai décidé de faire ce métier, je n’ai souhaité qu’une seule chose : avoir une longue carrière. Ne pas me contenter d’un succès, de rafler la mise puis disparaîtr­e. Je n’aspirais qu’à devenir un solide acteur de

compositio­n.” Au bout de l’interminab­le couloir kubrickien d’un palace du centre de Londres, Billy Crudup vous attend. L’homme, la fin de quarantain­e (très) alerte, affûtée, se présente dans un complet de tweed, et accorde une poignée de main franche et enthousias­te. Il s’est renseigné sur le magazine pour lequel on l’interviewe : “Je ne suis pas très intéressé par les vêtements,

déclare-t-il tout de go. Je suis plutôt tee-shirt et jeans la plupart du temps ; le genre de type qui adore camper. Heureuseme­nt que je suis entouré de gens plus à la page que moi et qui font les bons choix à ma place.” LA GENÈSE D’UN CLOWN “Gamin, j’étais le clown de la classe”, se souvient Billy Crudup lorsqu’on lui pose l’inévitable question sur l’origine de sa vocation. Pas d’épiphanie lors d’une séance de cinéma dominicale dans l’état de New York qui l’a vu grandir, non. “J’adorais improviser des sketchs, se remémore-t-il, me lancer dans des imitations pour faire rire mes copains. Mais je ne me voyais pas du tout en haut de l’affiche, à jouer les Indiana Jones.” À l’exercice du bilan sur les années passées, il répond avoir travaillé son art inlassable­ment, à le rendre flexible tel un muscle, “à chercher constammen­t à me surprendre moimême tout en prenant de plus en plus conscience de ce qui, parmi les rôles que je décrochais, m’allait le mieux”. Au départ pourtant, et il l’avoue sans peine, le théâtre n’était pour lui qu’une simple option à la fac, manière de rattraper une première année joyeusemen­t flinguée par l’abus de fêtes : “J’aimais bien bûcher un texte ou un poème pendant des heures ou, au contraire, en sortir quelque chose d’impromptu, de totalement instinctif. Alors, j’ai pensé que le théâtre serait pour moi la façon la plus simple de rattraper des points.” Un jour pourtant, à la fin d’une représenta­tion, un professeur lui glisse qu’il le verrait bien en faire son métier. C’est là exactement – il s’en rappelle avec dans le regard comme une étincelle de nostalgie – qu’a lieu le déclic. Celui qui, au mieux, s’imaginait devenir “professeur de théâtre; longtemps, c’est resté pour moi la façon idéale de transmettr­e cet art.” va finalement réussir à s’imposer solide second rôle à Hollywood en quelques années à peine. CODÉTENU DE BRAD PITT

“Oh, mec, c’était dément !” Et il soupire, submergé par la brève vague de souvenirs. La gloire quasi instantané­e, ce “du-jour-aulendemai­n” qui chante, les traitement­s de faveur, les cohortes de fans… Billy Crudup y a eu droit – un temps. Nous sommes en 1996. Jusque-là, l’excellente réputation de l’acteur, ovationné pour son interpréta­tion dans la pièce Arcadia, de Tom Stoppard, jouée à Broadway, n’a cependant guère dépassé le cercle des critiques de la

côte Est. Et voilà qu’il se retrouve catapulté dans un thriller assez remarqué à l’époque (quoique sans grand relief) aux côtés de Robert de Niro et d’un inconnu en passe d’atteindre les sommets du star-system, Brad Pitt. Sleepers, de Barry Levinson, raconte le destin d’une bande de gamins plutôt inoffensif­s à jamais brisés par la brutalité du gardien de la maison de redresseme­nt où ils sont envoyés. Billy fait donc partie du voyage, lancé à vitesse grand V. “J’étais terrifié. Rien ne m’avait préparé à ça. À l’école, on vous apprend à placer votre voix, à vous déplacer, à travailler les textes. Pas à répondre à une interview !”, avoue-t-il. Immédiatem­ent, sa vie s’en trouve chamboulée : “Mes amis, qui le soir me voyaient à la télé dans des talkshows, ont commencé à agir différemme­nt avec moi. Quand votre entourage ne sait plus comment vous aborder, vous êtes baisé. Mais

j’ai résisté...” La tête dure, peut-être conscient que la gloire facile a vite fait de vous rendre la monnaie de sa pièce, Crudup la joue

chi va piano va sano. Aux coups d’éclat façon “Brat Pack” (le vivier Charlie Sheen, Tom Cruise, Rob Lowe et consorts) de la génération de talents précédente vite passée au tamis des grands studios, il opte pour des choix plus réfléchis, moins rentables aussi. On le voit ainsi tourner pour Woody Allen

(Tout le monde dit I Love You), Robert Towne (Without Limits), Stephen Frears (The Hi-lo Country) ou prêter sa voix au doublage US d’un des personnage­s du superbe Princesse Mononoké, d’hayao Miyazaki. “Avec ma gueule, ma manière

“Professeur de théâtre : longtemps, c’est resté pour moi la façon idéale de transmettr­e cet art.”

de jouer, ajoute-t-il, les gens ont tout de suite cherché à me caser dans un certain type de rôle. Je devais correspond­re aux demandes du marché. Mais, moi, je n’avais qu’une obsession : sortir de ma zone de confort.”

presque (très) célèbre

“Je suis un acteur incroyable­ment ambitieux dans le sens où je veux repousser toujours plus loin les limites de mon potentiel. Mais la gloire, les biens matériels, le luxe que peut procurer la réussite, je m’en fiche un peu. La reconnaiss­ance, cela me convient lorsque je sens vraiment avoir bluffé les spectateur­s !” Certes. Mais la reconnaiss­ance publique, la vraie, est bel et bien arrivée à Billy Crudup en 2000 avec Presque célèbre, ce chef-d’oeuvre de poche signé cameron crowe, inspiré de sa propre adolescenc­e quand, alors à peu près vierge de tout, il devenait le critique fétiche d’un immense magazine rock américain. billy crudup y campe russell Hammond, leader adulé d’un Lynyrd skynyrd revisité. il est beau, drôle, et il irradie, volant la vedette sans le vouloir à toute la distributi­on. La transcenda­nce est à portée de main, de quoi laisser la concurrenc­e sur place, devenir la coqueluche absolue du Hollywood nouveau siècle. Il suffit de signer, mais là encore, ça ripe : “Des propositio­ns vraiment cool m’arrivaient. Et j’ai tout refusé en bloc, dont certains films vraiment bien. C’est mon côté borné, qui ressort parfois dans ma carrière.” Une rumeur tenace veut aussi qu’il se soit vu chiper sous le nez le rôle principal

de Titanic – celui-là même qui a fait de qui

vous savez ce qu’il est aujourd’hui. “Il faut accepter d’échouer parfois, vous habituer au désespoir, conseille-t-il, soudain fataliste. Vous ne sortirez pas toujours quelque chose de magique d’un rôle que vous avez arraché après maintes auditions. Et si vous y parvenez, il se peut que personne n’y prête attention.” Tout de même, à son tableau de chasse, nombreuses figurent les oeuvres (et les compositio­ns) non négligeabl­es, chacune dans leur genre : Big Fish, de tim burton, Mission impossible 3, de J.J. abrams, Raison d’état, de robert de niro, Watchmen : les gardiens, de Zack snyder, Blood Ties, de guillaume canet, Spotlight, de tom Mccarthy…

Luxe,

gloire et probité

“La carrière d’un acteur, c’est le grand huit permanent. Faites autre chose si vous cherchez la tranquilli­té. C’est un bordel complet !” D’ailleurs, Billy Crudup, qui n’a de cesse de mettre en avant son implicatio­n dans des “petits rôles” – “Les plus intéressan­ts profession­nellement, confie-t-il. Je veux être utile. C’est ce que j’appelle ma trajectoir­e.”– vient d’apparaître dans Alien: Covenant en colonisate­ur de l’espace bien malmené par un Ridley Scott accroché à sa franchise visqueuse comme une bernique à son rocher. Ceci avant d’incarner le père Flash, le super-héros le plus rapide de l’écurie DC Comics, dans deux adaptation­s à sortir coup sur coup : Justice League et The Flash. L’acteur – vu chez Stephen Frears, Michael Mann, pablo Larraín – aurait-il donc changé son fusil d’épaule, contingenc­e oblige ? Cédé aux sirènes sucrées du divertisse­ment poids lourd et de ses (fructueuse­s) suites à répétition­s ? La “zone de confort” tant repoussée n’a jamais semblé si proche. Billy Crudup officie même depuis peu sur Netflix dans la série Gypsy, c’est dire. Lui-même le concède : “C’est vrai que cette année a été incroyable­ment excitante du point de vue du travail. Je m’éclate comme un fou. C’est exactement ce que je voulais faire. Je n’en perds pas une miette.” Mais pour mieux

assurer ensuite que “[son] rôle dans l’univers de Flash étant ce qu’il est – je ne vais rien dévoiler –, [il n’a] pas signé pour une rente !” Son rêve de jeunesse, son apothéose, il le vit donc pleinement aujourd’hui, aussi bien face à une Jackie Kennedy endeuillée incarnée par Natalie Portman que contre des extra-terrestres anthropoph­ages pour la Fox (Alien : Covenant) ou à materner du super-héros pour la Warner (Justice

League). Une ubiquité qu’il analyse avec gourmandis­e : “Lorsqu’il m’a fallu rejoindre le tournage d’alien: Covenant, je jouais au théâtre en attendant godot. J’ai enfin atteint cette légèreté que j’espérais à mes débuts. C’est à la fois une bénédictio­n et une vraie vie de carnaval !” Heureux, qui comme billy… Billy Crudup est à l’affiche de gypsy, disponible sur Netflix.

“La carrière d’un acteur, c’est le grand huit permanent. Faites autre chose si vous cherchez la tranquilli­té.”

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France