M. CHRISTOPHER HACHE
Reconduit au Crillon à sa réouverture, le chef a tout repensé pour offrir une cuisine haute couture mais personnelle.
“Il voyagea.” Comme Frédéric Moreau, le héros de Gustave Flaubert, le coeur brisé en moins, Christopher Hache prit le large, poursuivant son éducation culinaire. À la fermeture du Crillon, en 2013, il prit ses couteaux pour partir à la rencontre d’autres cuisines et croiser d’autres regards. Après avoir repensé le concept de la haute gastronomie au Crillon, resserré autour de 26 couverts à L’écrin, plutôt que de réinvestir l’imposante salle à manger des Ambassadeurs, il a imaginé une cuisine vive, hautement technique, et sentimentale. À la réouverture, on notait une impressionnante tomate, comme une pomme d’amour reliant variétés de la saint-vincent à la coeur-deboeuf; une assiette de champignons tellurique, alliant les textures, où fumée et volupté donnent naissance à un grand plat, humble et puissant. Avec un service dirigé souplement par Claire Sonnet, venue du Plaza Athénée (où le fantastique Denis Courtiade impulse un art de l’accueil modernisé), le lieu impose un rythme gourmand singulier, où l’épure accentue les saveurs, où chaque trait prend la lumière. À la veille du premier service, le chef livrait quelques pistes éclairant sa démarche.
Quand avez-vous commencé à mettre la carte au point ?
Christopher Hache : J’ai effectué les premiers tests avec Justin Schmitt (mon second) et Jérôme Chaucesse (MOF, à la tête de la pâtisserie), il y a un an. Forcément, les plats ont évolué, mais cela a permis de couvrir une saison complète.
Quelle est votre conception de la création d’un plat ?
Tous les plats ont été élaborés avec Justin et Jérôme. Ensuite, j’invite des personnes extérieures à donner leur avis, et proposer une autre perspective.
Vous avez eu l’opportunité de beaucoup voyager, goûter… Qu’en avez-vous retenu ?
J’ai gagné en ouverture d’esprit, ce qui m’a incité à casser certains codes de l’art de la table. J’ai aussi appris de nouvelles techniques, découvert d’autres univers culinaires. Je suis allé au Japon, au Pérou, à New York, à Londres…cela donne d’autres perspectives sur la cuisine. Je me suis plus intéressé à des restaurants ailleurs qu’en France, cela me semblait plus important pour comprendre la clientèle des palaces. Je n’ai pas fait qu’y manger, j’ai travaillé, parfois comme commis, dans beaucoup de ces cuisines.
Comment avez-vous mis l’accent sur la singularité du lieu ?
Par exemple, avec les arts de la table. J’ai travaillé avec des céramistes pour réaliser DES ASSIETTES SPÉCIFIQUES EN FONCTION DU plat. J’ai notamment travaillé avec Virginie Boudsocq (céramiste à Argenteuil, ndlr) pour mon assiette autour du champignon. J’ai voulu rendre certaines imperfections exceptionnelles, puisque c’est aussi là qu’est le luxe. Ou avec le service, avec l’arrivée de Claire Sonnet, qui dirigera la salle et apportera de la modernité et de l’élégance.
Comment avez-vous repensé votre espace de travail ?
Bien sûr, nous avons refait les cuisines. Mais surtout, j’ai fait installer une chambre froide. Avec le boucher Yves-marie Le Bourdonnec, nous avons établi un nouveau rapport à la viande : je reçois des carcasses entières, maturées ici. L’ensemble est utilisé : à la Brasserie, au room service, à L’écrin. Nous avons suivi une formation pour les traiter. Je crois que c’est unique à Paris et Yvesmarie ne s’associe qu’exceptionnellement à des restaurants. Pour le poisson, je veux mettre en place des viviers, pour recevoir les poissons vivants. J’ai appris au Japon une technique particulière, Ikéjimé, qui permet de garder toute la fraîcheur de la chair.
Qu’est-ce qui a changé entre vos premiers pas ici, et votre philosophie aujourd’hui ?
J’ai changé, mais fondamentalement, je suis sur une ligne identique : une cuisine lisible, de produits. En revanche, sur le sourcing, je vais beaucoup plus loin.
En quoi cette pause, active, mais loin d’ici, a bouleversé votre approche du travail ?
Je me sens bien plus libre qu’à mes débuts. Notamment en termes de créations, d’audace.
Le Crillon a vu passer peu de chefs, mais tous ont laissé leur empreinte…
J’ai conscience que ces cuisines ont vu passer de très grands chefs, qui se sont inscrits sur la durée. Il y a un lien presque amoureux qui s’établit entre la cuisine et le palace.