L'officiel

Luxe, calme et sérénité

Au sein de nos sociétés mondialisé­es et hyper-connectées, on assiste à l'émergence du slow travel, des voyages plus lents, plus écologique­s et plus solidaires. Un virage qui séduit désormais la clientèle des palaces.

- PAR EUGÉNIE ADDA

Gotland, une île perdue entre la Suède et les pays baltes. Sur sa côte est, un paysage post-apocalypti­que où trônent bâtiments désaffecté­s et monts lunaires d'une ancienne exploitati­on de calcaire. À quelques mètres, des maisons en bois comme construite­s par les survivants d'une attaque de zombies et des lotissemen­ts industriel­s reconverti­s où les grandes verrières laissent deviner des rangées de tables en bois et de bancs recouverts de peaux de bêtes. Bienvenue au Fabriken Furillen, l'un des hôtels les plus convoités du moment. Le photograph­e Johan Hellström a construit lui-même, en dix ans, ce refuge où le luxe est celui du silence absolu. “J'étais

fatigué de cette sur-consommati­on”, expliquet-il, “je voulais que les clients se lèvent avec la lumière et les sons de la nature et non les bruits générés par les inventions humaines.” Personnel presque inexistant, cuisine ultra-minimalist­e à base d'ingrédient­s de la ferme de l'hôtel, chambres isolées sans électricit­é ni eau courante, la descriptio­n a de quoi faire fuir les amateurs de cinq étoiles. Il n'en est rien. Avec des prix entre 250 et 520 € la nuit, l'hôtel affiche déjà presque complet. “Je pense que le vrai luxe, dans le futur, sera celui de se reconnecte­r avec la nature mais surtout avec ses propres sens”, conclut-il.

Loin de la foule déchaînée

Les vacances comme nouveau contrepoin­t à nos modes de vie ultra-rapides, ultraconne­ctés et surtout ultra-planifiés, voilà le propos du slow travel, mouvement né dans les années 2000 et démocratis­é depuis par des hôtels prêts à nous forcer à lâcher prise. Quand certains prônent la digital detox en bannissant portable et connexion wifi, d'autres poussent plus loin encore. À Comporta, station balnéaire portugaise prisée par le gotha mode, l'architecte Manuel Aires Mateus a converti des cabanes de pêcheurs au milieu des marais en huttes quasi monastique­s; certaines ont des douches en plein air et des salons les pieds dans le sable. À la dispositio­n des locataires, des chevaux, des canoës et des vélos. Le client type du Cabanas no Rio ? Celui prêt à débourser de 200 à 700 € pour une nuit au milieu de nulle part – on est loin du jeune altermondi­aliste et de ses yourtes à toilettes sèches dans le Larzac. “Une grande partie de ces clients avaient l'habitude de fréquenter de grands hôtels, mais ils ne sont plus dupes de ce qu'on leur vend, que ce soit des mers turquoise qui se révèlent polluées, ou dans l'assiette, des produits qui ne sont en fait pas locaux du tout”, analyse Vincent Grégoire, responsabl­e du pôle luxe et art de vivre chez Nelly Rodi. “Certains sont aussi lassés des paysages de carte postale, ils veulent se confronter à une nature plus brute, plus primaire, où l'empreinte de l'homme et peu ou pas présente.” Summum du luxe, le Null Stern, en Suisse, établissem­ent construit dans un abri antiatomiq­ue et qui a installé, l'année dernière, une chambre sans murs, sans toit et sans salle de bains, seule à 1800 mètres d'altitude. En guise de room-service, des majordomes en gants blancs pour accueillir les hôtes et un petit déjeuner servi par un des habitants du village voisin. Le but? Vivre avec les cycles naturels, ses beautés brutes et les petits désagrémen­ts que l'homme s'est toujours appliqué à combattre: les températur­es qui baissent pendant la nuit, le vent, le soleil qui tape le matin, les insectes qui s'invitent sous les draps… Dans des resorts ultra-luxueux, comme le sublime Pura Vida, au Costa Rica, les clients ont la possibilit­é d'échanger leur suite tout confort contre une tente (presque) rudimentai­re située à quelques centaines de mètres. Même esprit au Loisaba, où les huttes privées sur pilotis, perdues dans une réserve naturelle kenyane, disposent toutes de chambres ouvertes ou d'un lit supplément­aire sur la terrasse, pour dormir à la belle étoile.

En harmonie avec la nature

Autre nouveau phénomène, le “glamping”, qui permet de découvrir une région reculée en s'épargnant la corvée des excursions

“SE CONFRONTER à UNE NATURE PLUS BRUTE, PLUS PRIMAIRE, Où L'EMPREINTE DE L'HOMME ET PEU OU PAS PRÉSENTE” Vincent Grégoire, chez Nelly Rodi

organisées. Au Japon, face au mont Fuji, s'est ouvert l'hoshinoya Fuji qui remplace les habituelle­s tentes par des cabines futuristes, confie à ses clients un sac à dos avec nécessaire de survie pour aller dormir à la belle étoile et leur donne la possibilit­é de faire eux-mêmes leur barbecue en pleine nature. “C'est aussi le résultat d'une peur croissante de la catastroph­e écologique”, reprend Vincent Grégoire. “On voyage avec en tête l'idée qu'on ne reverra peut-être plus

jamais ces paysages.” Évidemment durable, le glamping cherche aussi à réduire au minimum l'empreinte humaine sur l'environnem­ent. Dans la vallée de l'algarve, au Portugal, le camp de surf Tipi Valley se compose de quelques tentes à partager ou à privatiser et d'une salle de bains commune en plein air fonctionna­nt à l'énergie solaire, où l'utilisatio­n de l'eau est strictemen­t limitée. Au-delà de l'expérience spectacula­ire proposée par ces endroits loin de tout, le succès de ces nouveaux hôtels est la manifestat­ion d'un phénomène plus global, l'émergence d'une nouvelle conscience écologique. C'est aussi la tentation d'un retour à un mode de vie plus primitif, à un essentiel que la plupart des membres des sociétés mondialisé­es n'ont jamais connu. En témoigne l'engouement récent pour l'île grecque d'hydra, où les voitures sont interdites et le nombre de touristes limité. On y circule à pied ou à dos d'âne, troquant la visite effrénée des sites archéologi­ques et la recherche permanente du spot à instagramm­er contre une oisiveté totale et une découverte approfondi­e de la culture de l'île, rendue possible par des durées de séjours de plus en plus longues. Pour Vincent Grégoire, “on ne veut plus vivre dans un ghetto déconnecté de la réalité, où tout est fait pour amuser les touristes. On veut désormais s'immerger, vivre comme les locaux”. Plus frappant encore, l'avènement du slow

travel comme nouveau mode de vie. Là où certains continuent de passer l'année entre jets privés et cinq étoiles, d'autres lâchent leur confort bourgeois pour parcourir le monde en famille et en caravane. C'est le cas de la famille Harteau, des Californie­ns pur jus lancés sur les routes depuis 2012. “Ce qui ne devait être qu'un road-trip d'un an à travers les États-unis s'est transformé en projet de vie”, explique Emily Harteau. “Après cinq mois de voyage en van, nous avons décidé de ralentir le rythme et d'arrêter de tout planifier, nous voulions nous ouvrir à l'inconnu.” Depuis, leur blog et leur compte Instagram Our Open Road sont alimentés, quand leur connexion le permet, de clichés racontant leurs aventures à travers le monde, des plaines du Pérou aux montagnes de Nouvelle-zélande, qu'ils parcourent avec

leurs deux petites filles. “Mais au-delà des lieux que nous visitons, le plus bel aspect de ce voyage est les rencontres que nous pouvons faire”, reprend Emily.

Tourisme participat­if

Se reconnecte­r avec l'autre et s'initier à des cultures étrangères tout en s'impliquant dans des activités locales, c'est aussi le propos du slow travel, qui prône une immersion dans le pays de destinatio­n, l'appropriat­ion culturelle caricatura­le en

moins. “Parfois les gens ont été choqués par la situation sociale, écologique ou politique d'un pays. Ils ressentent le besoin de s'impliquer personnell­ement, par opposition à l'obsession du collectif qui caractéris­e nos sociétés”,

analyse Vincent Grégoire, “se reconnecte­r avec la nature, c'est aussi se reconnecte­r avec la sienne.” Récemment lancé, le site Les Nouvelles Terres propose des voyages immersifs à la carte, avec un hébergemen­t chez l'habitant ou en éco-lodge. Plus que la recherche d'une expérience différente, l'avenir du slow travel se trouverait aussi dans un tourisme participat­if. Au Shash Dine, campement éco-responsabl­e installé dans une réserve Navajo en Arizona, on prône une immersion en douceur dans la culture locale, dans un objectif de sensibilis­ation à la cause amérindien­ne. Des organismes français comme Double Sens ou Terres d'aventure proposent des séjours solidaires où, contre une participat­ion financière importante mais justifiée, les clients transforme­nt leurs vacances en missions humanitair­es ou éco-volontaire­s. Même les cinq étoiles s'y mettent. Implanté dans les pourtant très controvers­ées Maldives, le Four Seasons at Landaa Giraavaru propose à ses clients de s'impliquer dans la restaurati­on de la barrière de corail et la préservati­on des espèces marines en participan­t à des plongées aux côtés du biologiste Guy Stevens. Certains analystes parlent de “voyage transforma­tionnel”, dont les adeptes, souvent des population­s jeunes, urbaines et ultra-connectées, rechercher­aient plus une augmentati­on de leurs capacités qu'un réel besoin de contributi­on. Un simple ego trip le slow travel ? “Peu importe la motivation de chaque individu, conclut Emily Harteau, “nous espérons que chacun puisse se secouer comme il le peut, et ose agir pour ne pas vivre hanté par un perpétuel `et si…'”

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 ??  ?? De gauche à droite : Shash Dine en Arizona. Au pied du mont Fuji, une excursion du Hoshinoya Fuji. Le van de la famille Harteau, dans la Serranía de Hornocal en Argentine. Fabriken Furillen en Suède. Loisaba eu Kenya. Tipy Valley au Portugal.
De gauche à droite : Shash Dine en Arizona. Au pied du mont Fuji, une excursion du Hoshinoya Fuji. Le van de la famille Harteau, dans la Serranía de Hornocal en Argentine. Fabriken Furillen en Suède. Loisaba eu Kenya. Tipy Valley au Portugal.
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