Madame Figaro

LE FOOT BA L sa n s b al l o n

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J ’ ai dit mon amour du football dans un livre qui s’appelle « Football », qui est, comme on peut s’en douter, un livre sur la littératur­e. J’y parle de temps et de mélancolie, j’y parle de mon enfance. et d’une brise marine qui fait doucement onduler les drapeaux de corner. Pas un mot sur le ballon. Quel ballon ? Mais moi, Madame, je n’ai pas besoin de ballon pour faire l’éloge du football. La nature de l’émerveille­ment que le football me procure n’a rien à faire avec la réalité d’un ballon, fût-il rond. je ne connais pas les contacts rugueux des autres joueurs sur le terrain, je ne connais pas la boue des pelouses gorgées de pluie, je rentre aux vestiaires le short frais et les chaussette­s immaculées. C’est un football idéalisé que j’appelle de mes voeux, qui tire sa suavité de l’enfance et se nourrit de rêves et de citations littéraire­s. Je n’éprouve qu’indifféren­ce pour la réalité sociale du football. Que m’importent les pots-de-vin, les transferts douteux, les salaires indécents, que m’importe la violence dans les stades, que m’importent les sextapes qui font l’actualité récente. Le football des adultes m’indiffère. Les yeux fermés, quels que soient mon âge et ma condition physique, je suis l’attaquant vedette qui marque le but de la victoire ou le gardien de but qui s’élance au ralenti dans l’éther pour faire un arrêt décisif. Les bras que je lève au ciel, alors, dans le salon désert de mes parents, participen­t autant du rituel et de la fête que le but proprement dit que je viens de marquer. Ce sont les célébratio­ns, les congratula­tions, l’agenouille­ment sur la pelouse, les coéquipier­s qui se jettent sur moi et m’entourent, m’étreignent, m’oignent et m’encensent, que je savoure le plus, non pas l’action elle-même, et nullement le fait que cela puisse un jour se produire dans le réel.

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