Madame Figaro

LESPO SS IB I L T É S d ’ u n e île

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Le pi r e a vec l e s î l e s , c’est cette sensation permanente de voguer à la dérive, à bord d’une sorte d’éternité qui serait le fruit d’un accident géographiq­ue, comme si nous étions pris dans le tourbillon fatal d’une tragique solitude. Et le comble, c’est qu’en général, nous autres, insulaires, sommes contradict­oires par nature. Lorsque nous sommes sur le continent, abrités par les frontières, nous éprouvons la nostalgie de l’océan et de sa terrifiant­e immensité ; privés de ce parfum salé, peu à peu nous nous éteignons, nos forces nous abandonnen­t, et dans nos rêves nous revient sans relâche – litanie de la mer – le va-et-vient des vagues. Sur l’île, nous nous sentons puissants, illuminés, et nous avons le sentiment que nul ne pourra jamais avoir raison de notre aveuglante clairvoyan­ce. Oh ! nous pouvons bien penser que nous aurons le dessus, nous pouvons même avoir la bêtise de croire que nous l’emporteron­s – invincible­s survivants – sur les ouragans ou sur de chimérique­s invasions, nous autres, insulaires, sommes obsédés par la défaite. Nous avons beau vivre en lui tournant le dos, nous avons beau essayer d’ignorer sa fureur, autant que sa quiétude, la mer nous menace en même temps qu’elle nous protège. Ah ! le calme de la mer… C’est justement ce calme qui nous fait oublier la mer, parce qu’elle est là, telle une symphonie qui coulerait dans nos veines. La mer est l’un des nôtres. Havanaise, j’ai toujours vécu entourée par la mer, mais à une certaine époque je suis partie vivre à Cojímar, un petit village côtier éloigné de La Havane, et je peux dire qu’alors rares étaient les moments où je sortais de l’eau salée. Je me réveillais aux aurores, je quittais la vieille cabane et me rendais pieds nus au bord de la plage. Mon premier geste matinal, c’était de plonger mes pieds dans l’écume des courants marins. Et je passais le reste de la journée à suivre les pêcheurs, à bord de leurs embarcatio­ns, parfois délabrées, au large, où nous pêchions – ou « chassions » – le poisson-aiguille et le requin. C’est avec eux que j’ai appris à écouter, dans un silence respectueu­x, le mugissemen­t des vagues. Nous rentrions à la tombée du jour, nous accostions tout près de la tiburonera. Derrière nous, la mer s’étalait en un décor diffus.

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