Madame Figaro

L’INTERNET NOUS REND-IL plus violents ?

#INSPIRANT

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Laviolence des échanges et des c o mmentaires

est l’une des faces sombres de notre expérience permanente de l’Internet, cet auxiliaire infini dans lequel se prolongent désormais presque toutes les démarches de notre esprit. L’Internet est une extension concrète de tout ce qui nous passe par la tête. Il accueille nos questionne­ments, nos doutes, nos fantasmes, nos mauvaises pensées, etc. Il y répond ; il leur donne un espace, une inscriptio­n, une exposition. Des millions de pensées fugaces, instinctiv­es, à l’état sauvage prennent à chaque instant la lisibilité et la constance d’une forme écrite ; il y a dans ce phénomène j usqu’alors inconnu une brutalité que nous recevons de plein fouet. Nous avons l’impression de lire dans l’intimité mentale de nos contempora­ins comme si un couvercle avait été soulevé sur le haut des crânes, et ce n’est pas particuliè­rement réjouissan­t. Injures, joies mauvaises, goût malsain du l ynchage, appels au meurtre : la technologi­e avancée de l’ère numérique met à nu paradoxale­ment la persistanc­e d’une psyché collective archaïque, d’un obscur instinct de méchanceté. La page Facebook de l’écrivain André Markowicz, l’une des tentatives les plus abouties de ce réseau social comme support d’écriture. Un essai très fort, à propos d’Internet : « les Yeux d’OEdipe (inutiles, sauvés) », de Frédéric Metz (Éd. Pontcerq). Le recours au pseudonyme est loin de suffire à expliquer ces déchaîneme­nts. Cette violence est l à aussi quand les individus s’expriment en leur nom, avec leur photograph­ie. Ce n’est pas à l’instrument que nous devons nous en prendre. Ce qui est en cause est plutôt l ’ écart entre une morale séculaire et cette technologi­e nouvelle qui en fait éclater les cadres. D’une certaine façon, nous ne sommes pas assez mûrs pour cette invention. Nous n’avons pas encore trouvé le bon réglage moral pour juger d’un nombre croissant de situations. Notre morale évoluera nécessaire- ment. Soit nous deviendron­s plus insensible­s : nous n’accorderon­s plus d’importance à ces pensées flottantes, impulsives, nous les regarderon­s avec autant d’indifféren­ce que les propos de comptoir d’autrefois. Soit nous deviendron­s plus aimables : nous ne les considérer­ons plus comme dignes d’une manifestat­ion écrite, et peutêtre même se raréfieron­t-elles dans notre i ntimité mentale. Ces deux directions ne sont pas incompatib­les ; elles pourront être parallèles ou se succéder. Gilles Deleuze définissai­t la bêtise comme une i ncapacité à donner forme. L’infini de l’Internet a quelque chose d’informe. Beaucoup prennent cela comme une sorte de licence pour épouser l’informe, pour s’y complaire. Nous apprendron­s à voir au contraire dans cette immensité une incitation à recréer des formes.

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