YASMINA REZA Voisin, voisine

D’emblée, on reconnaît l’auteur de théâtre. Un phrasé court et efficace, une économie de détails, une montée dramaturgique implacable, et surtout une dangerosité latente qui envenime, dès les premières scènes, ce roman en forme de huis clos. L’action se passe dans un immeuble de Deuil-l’Alouette. Deux couples de voisins : elle est ingénieur Brevets à l’Institut Pasteur, mariée à un bon ours ; en face, lui est… on ne sait pas trop ce qu’il est, si ce n’est qu’il a une femme aux cheveux orange, chanteuse de jazz à ses heures et passionnée par la vie du poulet bio avant qu’il ne termine en terrine. Tout ce petit monde entretient des relations de bon voisinage – bonjour bonsoir, parfois un verre mais c’est rare, rien de plus. Jusqu’à cette fête de printemps où tout bascule. Le quotidien un peu morose mais bien orchestré, les certitudes, les habitudes qui, normalement, devraient amener tranquillement jusqu’à la fin de la vie, à laquelle, avec l’âge, on est de plus en plus enclin à penser. Même le chat est complètement déboussolé. Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir été prévenu : habile, Yasmina Reza essaime çà et là quelques indices laissant présager le pire, comme autant de cailloux blancs vers un destin des plus noirs. Car c’est bien de destin qu’il s’agit. Les personnages perdent pied, les repères n’en sont plus, personne ne maîtrise rien ni personne. Tout part à vau-l’eau quand tout, précisément, était calculé pour ne jamais changer. Dans la lignée des pièces de l’auteur, un texte terrible sur la fragilité de l’homme et sa solitude en société. V. G. “ART” (1994) Où il est question d’un tableau, monochrome blanc qui ne représente rien mais, du coup, suggère tout. De l’art, du grand !

Éditions Magnard.