Madame Figaro

CHARLES PÉPIN “L’ENTREPRENE­UR, C’EST CELUI QUI OSE Y ALLER”

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« MADAME FIGARO ». – Entreprend­re, réussir, est-ce aussi une question d’attitude ?

CHARLES PÉPIN.

– Absolument ! Qu’est-ce qu’une « bonne » attitude quand on est entreprene­ur ? C’est de construire sa valeur à travers ce que l’on fait, plutôt que de chercher à exprimer ce qu’il y a déjà à l’intérieur de soi. C’est pourquoi la philosophi­e existentia­liste de Sartre et la phénoménol­ogie de MerleauPon­ty sont très appréciées des businessme­n américains : elles nous apprennent que c’est ce que nous produisons qui nous invente. C’est l’idée d’une conquête par l’action de sa valeur intérieure. Osons une analogie avec les rock stars : David Bowie ne pensait pas qu’il avait en lui un bijou à extérioris­er, c’est ce qu’il a fait et produit qui était son bijou. Quelque chose qu’il était en train d’inventer et qui n’existait pas. Ceux qui ont la « bonne » attitude essaient même de ne surtout pas se référer à ce qui pourrait être en eux. C’est dans la confrontat­ion au réel, à la différence, à la difficulté, à l’opposition, que l’entreprene­ur peut rencontrer son talent. L’entreprene­ur, c’est celui qui ose y aller. Et même, c’est celui qui a peur que ce ne soit pas possible, et qui y va précisémen­t pour cette raison.

Prendre des risques, ça se travaille ?

Cela demande du courage, et ce qu’en disait Aristote permet d’éclairer cette question : le courage, c’est ce qui est autant éloigné de la lâcheté que de la témérité. La lâcheté consiste à ne rien oser. L’excès inverse, la témérité, amène à foncer sans mesurer le risque : précisémen­t, le téméraire aime le risque. L’entreprene­ur, lui, réduit le risque en permanence, mais sait prendre celui qui reste. Et c’est cela, le courage.

Le courage, c’est d’être aussi confronté à la sanction du réel, aux obstacles, échecs, dont on apprend pour mieux se relever. Accepter que son projet naisse de l’erreur, c’est une démarche en soi…

L’entreprene­ur écoute la sanction du réel avant tout. Il y a chez l’entreprene­ur qui réussit un réalisme au sens noble du terme, c’est-à-dire une attention au réel, une humilité (dont l’étymologie vient de « humus », la terre). Il a en lui un amour du réel et non d’un idéal. C’est pourquoi les gens trop perfection­nistes ne se lancent pas : un vrai entreprene­ur préfère un réel non parfait à un idéal parfait.

Quel rôle joue l’entreprene­ur dans la cité aujourd’hui ?

Son rôle est à mes yeux essentiell­ement de créer de la valeur et des emplois – ce serait une erreur de lui donner le rôle perdu des politiques et de l’école. En revanche, on peut lui demander de comprendre que la qualité des collaborat­eurs réside aussi dans ce qu’ils font en dehors de l’entreprise. La ressource n’est pas dans les salariés pressurisé­s et empêchés de respirer. C’est quand on comprend que le plus important dans la vie n’est pas son métier que l’on devient meilleur. Federer est redevenu numéro un mondial quand il a eu ses jumeaux. Les femmes ont là un rôle à jouer, car elles sont mieux armées pour comprendre cette vérité. On compte sur elles pour porter l’humanisme dans les entreprise­s !

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