DES CAMPAGNES MILLIONNAIRES
mode pour vendre le sujet. » Ces séries de photos destinées à la presse et réalisées avec des comédiennes, des mannequins ou des égéries s’appellent des éditos. Ce sont des exercices de style, un mélange de stylisme et de célébrités. « Ils sont peu rémunérateurs car les journaux ont des budgets serrés, explique la jeune photographe Sonia Sieff, mais ce sont des vitrines très importantes, surtout quand on est une jeune photographe. Cela permet de se constituer un book, comme on dit, et de se faire remarquer par la profession. » Les photographes plus expérimentés font aussi des éditos. Gilles Bensimon est venu à Paris pour shooter une série mode avec Céline Dion et une autre avec Ines de la Fressange. Lindbergh vient d’achever 80 pages pour le « Vogue Italie ». « Je travaille avec eux depuis trente-cinq ans. J’ai réalisé la totalité du journal et j’avais carte blanche. Ça ne se refuse pas. » Grâce à ces « éditos », les photographes célèbres entretiennent leur aura. Quant aux nouveaux talents, cette exposition peut les amener à décrocher le Graal (et beaucoup d’argent) : une campagne de pub.
Chacun sa technique. Lindbergh, lui, raconte des histoires. « Avant de shooter une campagne, j’écris mon script sur un bout de papier. » Pour celle des montres IWC, Lindbergh avait choisi la spectaculaire abbaye de La Cervara, sur les hauteurs de Portofino, pour shooter une campagne en noir et blanc, « Timeless ». Lindbergh ne montre jamais le produit. « Je ne vais quand même pas faire une photo de Cate Blanchett avec une montre au poignet en train de dire : “Regardez comme ma montre est belle et comme elle donne bien l’heure !” Non. » Lindbergh travaille aussi beaucoup pour L’Oréal, Armani ou Dior. « Pour le parfum L’Or de Dior, nous avons beaucoup discuté, et finalement nous avons décidé de fabriquer un grand set à Los Angeles, où Charlize Theron pourrait danser et sauter. C’était sublime… » Ces campagnes rapportent beaucoup d’argent. Certaines peuvent être facturées 100 000 dollars par jour. « C’est beaucoup d’argent, mais il faut savoir que pour faire tourner ma boutique avec mon équipe de 18 personnes, qui sont mes assis- tants, mes retoucheurs, mes archivistes, et l’achat du matériel, il me faut 350 000 dollars par an…», précise Lindbergh. Patrick Demarchelier, lui, est plutôt un esthète. « Il fait de très belles photos de très belles femmes, moins torturées que les miennes. Il les sublime, dit de lui son ami Lindbergh, quand moi je les torture. »
L’Anglais Rankin, lui, est un provocateur avec une approche joyeusement érotique. « Ne me demandez pas pourquoi. C’est comme ça que je ressens les choses. Ce qui peut apparaître pour de la provocation est pour moi une forme d’honnêteté. » Il a fait couler du chocolat sur le corps de Heidi Klum, recouvert le visage de Björk avec ses cheveux pour ne laisser passer qu’un oeil de cyclope, a shooté la reine d’Angleterre derrière un drapeau de l’Union Jack raccommodé, et fait le pitre jusqu’à obtenir un sourire qu’elle a fini par lui offrir.