Phénomène : la pose positive.
NOTRE LANGAGE CORPOREL PEUT BOOSTER NOTRE RÉUSSITE. C’EST LA THÉORIE D’AMY CUDDY, PSYCHOLOGUE À HARVARD, DEVENUE AUX ÉTATS-UNIS LA NOUVELLE PRÊTRESSE DE LA CONFIANCE EN SOI. SA MÉTHODE DE “POWER POSTURE” POUR DEVENIR SUPER PUISSANTE DÉBARQUE EN FRANCE. DÉ
SILHOUETTE FLUETTE, avec son 1, 65 m cette blonde aux yeux bleu laser s’est en quelques années forgé une stature « bigger than life ». Plus de 36 millions de vues pour sa conférence TED de 2012, « Votre langage corporel façonne qui vous êtes » , ont transformé Amy Cuddy en célébrité 3.0. dotée de 56 000 followers sur Twitter. Récit savamment orchestré de ses théories, son ouvrage « Presence » , best- seller du « New York Times » pendant dix semaines, s’est vendu à plus de 250 000 exemplaires. Déjà traduit en 22 langues, il est arrivé ce mois-ci en France sous un titre plus pragmatique, « Montrez-leur qui vous êtes » (éditions Marabout). La promesse d’un succès réitéré ? Son credo, universel, a l’avantage de traverser aisément l’Atlantique.
Il se résume ainsi : si notre langage corporel influence la façon dont les autres nous perçoivent, il peut aussi nous transformer en nous rendant plus présentes au monde, donc plus fortes. Notamment dans notre sphère professionnelle, selon Amy Cuddy, membre de la très réputée Harvard Business School et professeur spécialiste « des préjugés et des expressions non verbales de pouvoir et de domination » . De cette première certitude découle une méthode très pédagogiquement exposée par Cuddy, sur scène comme dans son livre : en amont d’une épreuve stressante – entretien d’embauche, présentation d’une stratégie, exposé professoral… –, la pratique express de postures dites de puissance ( ou « power postures » , voir p. 149) modifie notre chimie cérébrale pour réduire le stress et augmenter la confiance en soi. Donc décuple nos chances de réussite.
LEADERSHIP FÉMININ
Très s i mple pour êt r e honnête, l a méthode des power postures a pourtant séduit des businesswomen américaines de premier plan, comme Sheryl Sandberg. Grande fan, la directrice des opérations de Facebook a sollicité Amy pour créer un contenu éducatif dans le cadre de son programme de leadership féminin, « En avant toutes », accessible sur son site Web (1). Lauren Bush, fondatrice et directrice de la FEED Foundation, qui combat la malnutrition dans le monde, a fait venir Amy Cuddy pour motiver ses salariés. « Changeuse de donne », Amy Cuddy, pour reprendre le qualificatif de « Time Magazine » (« Game Changer ») ? À en croire Georges Vigarello (2), l’idée n’est pourtant pas si révolutionnaire. « Blaise Pascal prônait déjà la posture de prière pour se concentrer et mieux s’adresser à Dieu, la position physique impliquant quelque chose de l’ordre du spirituel, rappelle le savant historien des représentations du corps. En psychologie, le discours du Dr Cuddy fait également écho à celui de l’Allemand Willibald Gebhardt,
auteur de « L’attitude qui en impose et comment l’acquérir », ouvrage paru en… 1895 ! « L’homme assurait qu’en se promenant dans la rue jarret tendu, buste raidi et tête haute, non seulement on devenait impressionnant, mais l’on se sentait supérieur », raconte Georges Vigarello.
Convaincre d’abord par sa présence : Cuddy confirme que les postures confiantes, empruntées aux meneurs et aux vainqueurs induisent un effet positif sur l’image de soi. « Son discours selon lequel nous détenons le pouvoir sur notre anxiété, notre comportement et nos performances est très stimulant », assure Tracy Be har,son éditrice américaine( Little, Brown and Company). Celle qui a travaillé avec le dalaï-lama loue « l’authenticité d’une scientifique descendue de sa tour d’ivoire pour aider les autres ». Hélène Gédouin, son éditrice française, estime que le pavé de 350 pages de sa protégée est « un ovni, inclassable : ce n’est pas un livre de développement personnel qui relèverait de la méthode Coué, défend-elle, mais l’oeuvre d’une auteur au CV béton, qui fait passer un message inédit en France, fondé sur des recherches sérieuses ». À y regarder de près, le succès de Cuddy est aussi celui d’une mécanique très bien pensée, huilée, rodée, forte d’un storytelling à l’américaine qui contient tous les ingrédients majeurs du best- seller. À commencer par le drame personnel. À 19 ans, Amy a elle-même triomphé d’une douloureuse perte de « pouvoir personnel ». Ses capacités cérébrales ayant été gravement endommagées à la suite d’un accident de voiture, la brillante étudiante fut déclarée inapte à poursuivre des études. « Un sentiment d’impuissance ultime », se souvient-elle. Travail acharné et autopersuasion seront les clés de sa success-story. Elle met quatre ans de plus que ses camarades à décrocher son doctorat à Princeton. Incarnation de l’esprit « Yes, we can », Amy pratique un mantra : « Faire comme si pour devenir comme ça. »
LE “NAME-DROPPING”
Émaillant sa théorie de décennies de recherches en psychologie sociale et en neurosciences, la scientifique convoque, entre autres, un ponte de la psychologie comme Oakley Ray, de la Vanderbilt University, pour démontrer la force du corps sur l’esprit et moucher ses détracteurs, prompts à la taxer de « new agisme ». « Le retour que je lis le plus souvent est : “Grâce aux postures, j ’ ai f ait de mon mieux.” » C’est le sentiment, minant, de ne pas avoir exprimé son plein potentiel que Cuddy se propose d’éradiquer. Dernier mais capital ingrédient de son livre, un «name-dropping» (littéralement, «lâcher de noms») bien dosé, où
l’actrice Julianne Moore loue la théorie de « Présence » , où sa consoeur Allison Williams, personnage décapant de la série « Girls », explique comment elle s’est inspirée du travail de Cuddy « à rebours », pour créer le langage corporel de son personnage névrotique, épaules rentrées et bras croisés, en position d’impuissance et de défense. « La force de “Montrez- leur qui vous êtes” réside dans cette formule unique d’écriture quasi romanesque, d’études et d’expériences solides, d’émotion et de témoignages », souligne l’éditrice Hélène Gédouin. Selon Marie-Joseph Bertini, professeur spécialiste des normes de genre à Nice- Sophia- Antipolis ( et auteur de « Femmes, le pouvoir impossible », aux éditions Pauvert), les observations d’Amy Cuddy relèvent d’abord des théories du management. « C’est vrai aussi que les femmes parlent peu en public quand les hommes sont présents. » Atout majeur pour ses lectrices, les postures de puissance préconisées par Cuddy peuvent se pratiquer n’importe où, et rapidement. Deux à six minutes devraient suffire.
“J’AI DÉCROCHÉ LE BUDGET ”
« J e me s ui s mise e n posture dans l’ascenseur, juste avant une rencontre avec un investisseur. Passionnée et plus sûre de moi, j’ai décroché le budget », s’enthousiasme Leah, une start-uppeuse vivant à Los Angeles. « Plus convaincante sans être intimidante est le compliment que je reçois le plus souvent après nos réunions depuis que je pratique les positions expansives de Cuddy », confie Sylvia, une directrice financière new- yorkaise. « La première fois que je les ai utilisées, c’était avant notre grande présentation commerciale annuelle, se souvient l’éditrice Tracy Behar. Mon patron m’a félicitée d’avoir mis le feu ce jour-là ! » Au quotidien, le fait de se redresser devant son ordinateur, les jambes décroisées, comme enseigné par Cuddy, nous rendrait « plus concentrées et sereines sous la pression » . Réussir juste en écoutant, au fond, le sempiternel « tiens- toi droite » de nos mères ? Oui, mais désormais validé par la science ! « Très anglo-saxonne dans ses procédés rapidement accessibles et convaincants, Amy Cuddy bénéficie aussi de l’évolution du statut du corps, qui est devenu ces dernières années le lieu de notre force et surtout de notre i dentité » , commente Georges Vigarello. « Éprouvez-vous physiquement, et vous aurez une psychologie différente », résume-t-il. Professeur en MBA, Cuddy applique tous les jours sa méthode au service de sa croisade : enseigner à ses étudiantes la confiance en soi qui leur fait encore, selon elle, culturellement défaut.
(1) www.leanin.org/education
(2) Auteur de l’ouvrage « le Sentiment de soi. Histoire de la perception du corps (XVIe – XXe siècle) », Seuil poche, octobre 2016.