« Héros de conduite », par Guillaume Durand.
HAu début de la vie, on croit qu’il n’y a pas de héros sans ennemi. Dans l’enfance et l’adolescence, la littérature et le cinéma sont les grands pourvoyeurs de ce besoin fondamental de gloire incarnée. Très jeune, j’ai adoré Errol Flynn et son sourire ravageur dans « Gentleman Jim ». Smoking impeccable, il frappait les ordures. Tintin fut un héros de passage, balayé un jour de mes treize ans par la lecture d’« Au coeur des ténèbres », de Joseph Conrad. Pourquoi cette histoire de marin, de Congo, de nature hostile et de violence pour rechercher un dingue me bouleversa ? Il n’y a pas d’explication aux sentiments qui serrent la gorge. Pourquoi Charles Marlow, ce capitaine anglais perdu dans un Congo belge colonial devint une sorte d’idole ? Un type qui a besoin du bout du monde pour exister. Comme Rimbaud, comme Conrad. La littérature, oui, mais surtout les océans et ce bruit indéfinissable de la pleine mer qui vous rend à la solitude de la jeunesse. Malgré ces lectures, toujours pas le moindre amour à l’horizon ! Forcément on s’interroge : à quoi servent ces personnages quasi mythologiques à qui l’on consacre tant d’heures et tant de rêveries ? Je peux tenter de vous l’expliquer. Antoine Doinel et Truffaut m’ont fait comprendre que je n’étais pas seul. Les Beatles et Led Zep’ m’ont sorti mentalement et définitivement du seul Hexagone : Londres autant que Paris, Churchill autant que de Gaulle. Le héros est une éducation. Exemple : la peinture classique et le nu féminin. Soudain, vous découvrez « le Déjeuner sur l’herbe », d’Édouard Manet. Et cette femme qui vous regarde, entre deux hommes habillés, devient le désir. J’ai souvent remarqué que les jours où tout va bien laissent peu de traces. Les héros ne descendent de leur piédestal que si on les implore les nuits d’angoisse. Et là, vous les découvrez incroyablement généreux avec les âmes en peine que nous sommes tous. À 17 ans, je décidai bêtement d’enfermer toutes mes idoles sur les rayons d’une bibliothèque. Shakespeare se vengea. Maladroits, avec ma première fiancée, nous secouâmes le meuble gorgé de livres qui s’effondra brutalement. Son théâtre relié nous cabossa le visage. Le héros peut se venger si on l’humilie. J’ai cru naïvement que lorsque le désir s’installe, on pouvait congédier ses modèles. Le héros est comme
Dieu, allergique au blasphème.