POP CULTURE
BobDylan en novembre, c’est l’occasion de quelques considérations t empérées. Apparemment, le lauréat du prix Nobel de littérature 2016 ira en décembre le recevoir à Stockholm. Mais la presse fait des gorges chaudes sur son laconisme. Évidemment, si l’auteur de « Masters of War » tweetait comme un colibri pour notifier sa l i esse en 140 signes, selon le nouvel usage mondial, personne ne s’en étonnerait. Mais voilà un conformisme de plus auquel il n’aura pas sacrifié. Les admirateurs de Dylan savent bien qu’il est, comme l’on dit en anglais, « a man of few words » – « un homme de peu de mots ». À la remise de sa Légion d’honneur par Aurélie Filippetti, en 2013, j’avais pu constater que, en réponse à un discours très préparé et d’ailleurs bien senti de la ministre, Dylan avait grommelé deux phrases avant de quitter sans plus tarder le salon des Maréchaux du ministère de la Culture. Les ermites électriques sont comme ça. Tout le monde ne peut pas s’appeler Rihanna. Une autre chose amusante, ce sont les puritains qui se formalisent de voir un Nobel de littérature remis à un chanteur. Dylan est plutôt un poète qui chante, comme Orphée, ou un troubadour médiéval. Il figurait dès 1965 parmi les plus considérables mythologies américaines du XXe siècle, à l’instar des frères Kennedy, de Martin Luther King (Prix Nobel de la paix 1964) ou d’Andy Warhol, mais il se trouve encore en 2016 des marmottes pour ne pas le savoir. Il me souvient aussi, vers 1971, d’avoir appris sous l’égide d’un professeur agrégé d’anglais les vers de « Blowin’ in the Wind » : on récitait ça comme du Shakespeare. Mais ce qui était admis dans un lycée d’époque Pompidou semble contestable par les contemporains de Kim Kardashian. Étrange. Comme le dit mon camarade Jean-Marie Périer, qui l’a photographié : « On prenait déjà Dylan pour le Christ en 1966, alors le Nobel en 2016, c’est un cran en dessous. » Mais ce cran accroche, apparemment.
En réalité, il est probable que ce mont Rushmore de la pop culture suscite bien des jalousies. Lorsque l’on décerna en 2011 le prix Nobel de littérature au poète suédois Tomas Tranströmer, qui protesta ? Et quelle différence existe-t-il donc entre Tomas Tranströmer, que personne n’a lu, et Bob Dylan, qui a contribué à façonner la psyché de plusieurs générations ? Moi, je sais gré à ces septuagénaires increvables de maintenir un toit entre nos têtes et la mort. En cet automne, non seulement Dylan décroche le Nobel, mais les Rolling Stones, Eric Clapton ou Leonard Cohen publient de nouveaux albums. Le guitariste Jeff Beck et Brian Wilson ( des Beach Boys) viennent de jouer à la Salle Pleyel. L’un des plus beaux cadeaux de la vie, c’est la magie du temps suspendu. À LIRE :
« Hollywood, la cité des femmes »,
MES ENVIES
d’Antoine Sire, aux éditions Actes Sud.
Et « Ainsi, Dieu choisit la France », de Camille Pascal, éditions Presses de la Renaissance.