HERMÈS HORS LES MURS
souvient-elle. Je recevais régulièrement des propositions, que je déclinais : on me demandait d’appliquer la même recette que celle qui prévalait chez moi. Mais j’adorais l’exigence et l’esprit très français de la maison. » Pierre-Alexis Dumas lui propose alors de se pencher sur le carré : « Nous avons besoin de sang neuf, lui explique-t-il, et tu es la bonne personne. »
Il ignore son lien avec cet accessoire mythique, que Bali Barret, élevée dans une famille bourgeoise, connaît par coeur. Adolescente, elle s’approprie ceux de sa mère, les porte à sa manière. « Bali Barret était une marque minimaliste, dans la veine d’Agnès b. ou d’A.P.C. Le carré, c’était le dessin, la couleur, la fantaisie », souligne la créatrice. Elle accepte pourtant, « pleine d’envies », avec un seul impératif : que le style Hermès soit identifiable au premier coup d’oeil. « Pierre-Alexis m’a ouvert la porte des manufactures et des archives, où j’ai découvert beaucoup d’irrévérence et de liberté, se souvient- elle. Je me disais : j’ai tous les droits. » Elle hante la carréothèque, temple du carré, qui rassemble tous les modèles, et, en fille de son époque, prépare sa révolution culturelle : les métisser au street style, jouer sur les formats, etc.
Il lui faut ensuite présenter son projet à Jean-Louis Dumas. « C’était un peu M. Carré et j’étais impressionnée, raconte Bali Barret. Pierre- Alexis m’avait prévenue : “Quand mon père reste silencieux, ce n’est pas bon signe.” Je me lance, il ne prononce pas un mot. Je me dis que je n’ai plus rien à perdre. J’ai été jusqu’au bout d’une Comment fait-on un objet Hermès ? Depuis 2011, la marque présente « Hermès Hors les murs » * où les artisans de dix métiers de la maison montrent au public leur savoir-faire : sacs, selles, bijoux, montres, gants, foulards (en photo, Pani La Shar Pawnee, bandana en twill de soie)… « Sans leur approbation, nous ne pouvons rien faire, ils sont au coeur et au départ de tout, estime Bali Barret. Mais notre rôle consiste aussi à faire évoluer leur métier. Un bon artisan est un esprit ouvert. » seule traite… Il a éclaté de rire, il trouvait ça génial. » Malgré le scepticisme au sein même de la maison et l’absence de succès commercial, Jean- Louis Dumas la soutient. « Il me répétait : “Ce que tu crées, c’est du Hermès.” » Bali Barret prend la direction artistique du carré. Elle fusionne les collections, modernes et classiques, et entreprend un travail de communication pour bousculer l’image statutaire de la pièce. « Je devais expliquer aux acheteuses qu’il s’agissait d’un objet de mode comme un autre, dit-elle. Elles ont tout de suite compris. » Les ventes du carré s’envolent, et Pierre-Alexis Dumas, toujours lui, l’incite à prendre la direction artistique de l’univers f éminin. « J e s uis t ombée de ma chaise, raconte- t- elle, mais j’aime l’échange, la fraternité. Le grand talent de cette maison, c’est de savoir respecter des sensibilités différentes qui agrègent des valeurs i dentiques. Véronique ( Nichanian, directrice artistique de l’univers masculin), Pierre Hardy ( directeur de création des bijoux et chaussures), Nadège (Vanhee-Cybulski, le prêt-à-porter féminin) et moi- même n’avons pas exactement la même interprétation d’Hermès ni l a même vision de l a féminité. Pourtant, nous nous comprenons parfaitement. »
Bali Barret adore travailler avec des créateurs de talent, qu’elle accompagne avec bienveillance. « Je n’ai rien à leur apprendre, j’encourage juste leur vision. » Et depuis six ans, elle lance aussi des expositions événements dans les grandes capitales. Dernière en date, « The View From Her » , à Pékin, au Beiji ng Minsheng Art Museum, pour laquelle la chorégraphe Lucinda Childs a fait danser les robes Hermès dans un ballet créé pour l’occasion, « Ensemble for Nine Dresses ». « Nadège a choisi les pièces qui, pour elle, définissaient la femme Hermès. Avec Lucinda Childs, nous sommes parties de là pour écrire une histoire de mouvement, de sensualité et de grâce. Nous nous intéressons aux mêmes choses pour les mêmes raisons. Elle a effectué un travail graphique et sensible. Quelqu’un m’a confié : “C’était comme une caresse.” » Bali Barret cherchait le raffinement et l’émerveillement. « Je ne me demandais jamais : comment plaire ? J’étais dans une exigence narrative. Pour moi, l’émotion doit rester, qu’on aille un jour acheter une pièce chez Hermès ou pas. »