Madame Figaro

ADIEU LEONARD

Par Marc Lambron

- ILLUSTRATI­ON STÉPHANE MANEL

Pourcelles, pour ceux de ma génération qui ont grandi avec dans l’oreille la musique des dernières décennies, l’année qui s’achève aura eu la couleur de quelques adieux. Singulier pont temporel entre la disparitio­n en janvier de David Bowie et celle de Leonard Cohen en novembre, avec la mort de Prince au milieu. À croire que les chanteurs tombent désormais comme des généraux. Le retour français de Cohen avait eu lieu en juillet 2008, lors d’un unique concert donné aux Nuits de Fourvière, à Lyon. Âgé alors de soixante-treize ans, l’auteur de « Suzanne » avait pendant presque trois heures empli la nuit d’un miracle. J’y avais assisté avec ma fille Juliette, dix-neuf ans, comme pour lui passer le témoin d’une histoire personnell­e déjà ancienne – d’un temps perdu. J’ai retrouvé la date de mon premier concert de Leonard Cohen. C’était le 7 septembre 1974 à la Fête de l’Humanité. Au programme, le chanteur canadien côtoyait les Kinks, groupe emblématiq­ue du Swinging London. En ce temps-là, le parti de Georges Marchais maintenait serrée la ligne avec Moscou, mais tentait d’attirer à lui de jeunes Français en engageant des chanteurs anglo-saxons. C’est sans doute ce que l’on appelle la dialectiqu­e. Encore mineur pour quelques mois, plus frotté à vrai dire de rock que de marxisme, j’étais arrivé au parc de la Courneuve où les militants distribuai­ent par centaines des badges sur lesquels on pouvait lire ce slogan : « Je suis communiste, pourquoi pas vous ? » Dans mon souvenir, Leonard Cohen monta sur la grande scène dans un climat légèrement venteux. Toisant la foule immense, un Cohen de trente-neuf ans lâcha alors d’une voix sardonique, comme un peu fatiguée : « Je suis chanteur, pourquoi pas vous ? » Dans cette bravade détachée, dans cette ironie dynamiteus­e, ma mémoire retrouve l’empreinte d’un homme, l’élégance de son passage. Autre adieu. J’ai été très attristé par la disparitio­n de Claude Imbert, cofondateu­r du « Point » et longtemps son directeur. C’était un homme qui considérai­t la politique, et plus largement la vie française, avec le télescope de l’histoire longue, une sagesse moderne nourrie de la lecture des Anciens. Son optique sur le métier de journalist­e de plume tenait en une phrase : « La presse écrite doit être écrite. » Il voulait dire que, face à la montée de l’actualité zapping dans un univers d’écrans, la spécificit­é de la presse sur papier est de s’affirmer par le style : c’est ce qui fait le trésor à la fois d’une différence et d’une identité. Souhaitons aux lectrices et aux lecteurs de « Madame Figaro » de rester longtemps les complices d’un style – les dépositair­es de ce trésor. À ÉCOUTER :

« The 1966 Live Recordings », Leonard Cohen

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