Madame Figaro

Cover story : Maria Grazia Chiuri.

La créatrice a créé l’événement avec sa première saison pour Dior. Sa passion pour une mode au service des femmes, son style subtilemen­t chic et cool, son ultramoder­nité respectueu­se des codes maison… Autant de valeurs partagées avec l’actrice Lætitia Cas

- PAR MARIA LUISA FRISA (PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ IUAV DE VENISE) / PHOTOS CÉCILE BORTOLETTI / RÉALISATIO­N AGNÈS POULLE / MODÈLES MARIANA @ IMG MODELS ET AVA @ NEXT MANAGEMENT

M“Je veux vraiment travailler pour les femmes”

OORIGINAIR­E DE ROME, MARIA GRAZIA CHIURI est, depuis juillet dernier, la directrice artistique de Dior et la première femme à occuper ce poste dans cette maison unique, qui non seulement a écrit une page de l’histoire de la mode, mais qui, depuis la révolution lancée par son fondateur, a réussi à maintenir un parfait équilibre entre présent et passé, le tout dans une évolution continue. Maria Grazia allie de nombreuses qualités et une grande déterminat­ion : elle veut respecter la tradition tout en osant l’insolence, à l’image de Christian Dior. Elle se sent féministe au sens contempora­in du terme, ce qui, pour elle, consiste à inscrire la maison dans cette idée d’une beauté réelle façonnée par la vie d’aujourd’hui. Elle veut accompagne­r les femmes dans l’utilisatio­n personnell­e et consciente de la mode. « Nous devrions tous être féministes » , c’est la devise de Chimamanda Ngozi Adichie, jeune écrivain nigériane, que Maria Grazia a reprise à son compte pour son premier défilé fin septembre, en l’imprimant sur un tee- shirt blanc qui, porté avec une jupe en tulle noir brodé, a eu un retentisse­ment considérab­le sur les réseaux sociaux.

« SINCÈREMEN­T, JE N’AURAIS JAMAIS IMAGINÉ, lorsque j’ai commencé à étudier la mode, que j’occuperais un poste aussi important que celui-ci », répète-t-elle à ceux qui lui demandent ce que cela fait de se retrouver soudain à Paris, chez Dior, après avoir quitté Rome et une autre grande maison, Valentino, plus discrète et plus familiale. « C’est une reconnaiss­ance extraordin­aire de mon engagement profession­nel. Tout à fait inattendue, je dois dire. » Consciente que s’engager dans de nouvelles aventures veut dire grandir, Maria Grazia Chiuri a accepté le défi proposé par Dior. Et, comme elle l’a elle- même expliqué, l’appel téléphoniq­ue de Sidney Toledano ( pdg de Christian Dior Couture) est arrivé à un moment de sa carrière où, à 52 ans, elle ressentait la nécessité d’un changement. Non pas qu’elle n’était pas heureuse de ce qu’elle faisait là où elle se trouvait, mais parce qu’elle sentait qu’elle était en train de s’installer dans une routine trop confortabl­e. Mettre un terme à sa collaborat­ion avec Pierpaolo Piccioli – le complice créatif avec lequel elle avait d’abord vécu une belle aventure chez Fendi, puis un succès extraordin­aire chez Valentino – n’a certes pas été indolore, compte tenu de l’étroite amitié qui les lie toujours. Mais comme l’a dit Pierpaolo Piccioli : « Le succès n’est jamais un point d’arrivée, mais un point de départ. » Tous deux désiraient se mettre à l ’ épreuve sans l a protection de l’autre. Et, pour changer, il fallait se séparer. Afin de mieux comprendre de quoi ils étaient encore capables, après avoir connu le succès dans les accessoire­s et réussi à livrer une nouvelle interpréta­tion de la haute couture qui a largement inspiré la mode contempora­ine.

Il faut dire aussi que le soutien sans faille de sa famille, son mari et ses deux enfants – son fils adolescent et Rachele, sa fille de 20 ans qui étudie l’art à Londres et qui vient souvent lui rendre visite à Paris – a été fondamenta­l pour l’équilibre et la sérénité avec lesquels Maria Grazia Chiuri a pris ses fonctions de directrice artistique à temps plein de la maison Dior. Et c’est justement pour pouvoir profiter de la Ville lumière, surtout quand sa famille l’y rejoint, qu’elle est en train de décorer son pied-à-terre parisien.

POUR ELLE, PERPÉTUER L’HÉRITAGE DE CHRISTIAN DIOR consiste à ramener la femme au centre de l’histoire, en bousculant les attentes et les évidences. « Au sein de la maison Dior, les stimulatio­ns ont été très nombreuses. Je pense aux personnali­tés extraordin­aires des directeurs artistique­s qui m’ont précédée : Yves Saint Laurent, Marc Bohan, Gianfranco Ferré, John Galliano, Raf Simons. Chacun avait une vision très forte et particuliè­rement bien définie de la mode. Les profession­nels que je côtoie quotidienn­ement pour chaque collection – que ce soit pour les vêtements ou pour les accessoire­s, le prêt- à- porter ou la haute couture – sont tout aussi extraordin­aires, à la recherche incessante de la meilleure solution. »

Maria Grazia Chiuri explique au sujet de son premier défilé : « C’est après avoir vu le film “l’Innocent”, réalisé par Luchino Visconti en 1976, que je me suis dit que le thème de l’escrime pouvait être un début, une synthèse parfaite entre ma

vision de lamais onDi or et la conception de la mode que je veux proposer aux femmes d’aujourd’hui. » Puis elle ajoute : « L’escrime est une discipline dans laquelle l’équilibre entre pensée et action, l’harmonie entre esprit et coeur sont essentiels. L’uniforme des escrimeuse­s est identique à celui des escrimeurs, décliné dans ce blanc qui non seulement contient toutes les autres couleurs, mais qui constitue aussi une surface vierge sur laquelle on peut tracer des dessins pour commencer à raconter une histoire. » Partir de l’escrime impliquait de réfléchir aux formes d’une silhouette contempora­ine, agile, olympienne, élitiste dans l’élégance sportive, tout en restant à la portée de chacune puisque l’uniforme est à la fois un élément unique et sériel. À l’instar de la veste Bar, créée par Christian Dior après la guerre pour remettre le corps féminin au centre d’une idée de beauté et d’harmonie nécessaire­s à l’époque et qui, d’après Maria Grazia Chiuri, est devenue l’uniforme intemporel de la maison, auquel tous les directeurs artistique­s se sont confrontés pour en réaffirmer la valeur symbolique. « Au-delà de faire entendre ma voix, je tenais à ce que cette collection exprime les points de vue des personnes que j’observe, avec lesquelles je discute et j’échange des opinions, les gens que j’admire. Les concepts sont liés à l’énergie, au courage et à la discipline, mais aussi à l’irrévérenc­e, à la légèreté et au jeu, autant de caractéris­tiques qui définissen­t la féminité contempora­ine. »

MARIA GRAZIA CHIURI, CHEVEUX COULEUR PLATINE, est presque toujours vêtue de noir, de manière simple et fonctionne­lle, sans aucune concession faite aux ornements – comme cela est souvent le cas chez les créatifs qui préfèrent jouer avec la mode en s’y soustrayan­t. Elle a autrefois déclaré que la célébrité n’était pas faite pour elle. Il semble naturel de lui demander ce qu’elle en pense aujourd’hui, puisqu’elle fait désormais partie de l’illustre classement du « Financial Times », qui chaque année désigne les dix femmes les plus influentes au monde, et qu’elle doit composer avec une notoriété grandissan­te et avec les célèbres muses qui constituen­t la carte glamour de la maison Dior. « Je veux vraiment travailler pour les femmes. Pas seulement en créant de beaux vêtements désirables, mais aussi en utilisant ma propre visibilité pour parler des femmes et pour affirmer la nécessité, aujourd’hui plus que jamais, d’être féministe. C’est la raison pour laquelle j’ai repris la phrase de Chimamanda Ngozi Adichie et ai voulu qu’elle soit assise au premier rang parmi les ambassadri­ces Dior, aux côtés de l’escrimeuse italienne Bebe Vio, la fabuleuse médaillée d’or aux derniers Jeux paralympiq­ues. Un exemple de force, de déterminat­ion et de courage pour chacune d’entre nous. Du reste, n’était- ce pas Monsieur Dior qui répétait sans cesse qu’il voulait rendre les femmes belles mais aussi heureuses ? »

Au sein de Dior, les stimulatio­ns ont été très nombreuses

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