Madame Figaro

Interview : Jean-Paul Belmondo.

- PAR ISABELLE GIRARD / PHOTOS VINCENT FLOURET

C’EST LE PLUS FRANÇAIS DES ACTEURS, le plus emblématiq­ue de sa génération, le plus éclectique, le plus populaire et aussi le plus boulimique, avec plus de 80 films tournés durant une carrière commencée en 1961. L’un des rares à jouer aussi bien dans « À bout de souffle » , de Jean- Luc Godard, que dans « le Guignolo », de Georges Lautner. C’est le champion du grand écart entre la Nouvelle Vague et le film de pur divertisse­ment, le cascadeur infatigabl­e qui risque sa vie dans « l’Homme de Rio » ou dans « Peur sur la ville », le magicien des mots qui peut autant manier la langue de Marguerite Duras dans « Moderato cantabile » que celle de Michel Audiard dans « Un singe en hiver ». Belmondo se fiche de la critique. Il aime tous les films qu’il a tournés et n’en renie aucun. « Et vous savez pourquoi ? » dit- i l aujourd’hui, prenant à t émoin s es complices de toujours, l e comédien Charles Gérard – habitué des films de Claude Lelouch – et Tino, son maquilleur depuis quarante-cinq ans, qui pourrait jouer dans un film de Paolo Sorrentino : « Parce que je me suis amusé comme un fou sur chacun des tournages. Voilà le secret de ma vie, qui se résume en trois mots : détente, sérieux, dérision. » Personne ne porte mieux que lui le Borsalino ni son éternel blouson de cuir, qui n’a pas vieilli depuis « Pierrot le Fou ». Personne ne sait faire rire les femmes aussi bien que lui, comme dans « le Magnifique », de Philippe de Broca, ni les aimer comme il a aimé Catherine Deneuve dans « la Sirène du Mississipp­i », de François Truffaut. Au théâtre, il a fait preuve d’une rare ouverture d’esprit, jouant aussi bien Georges Feydeau, Edmond Rostand ou William Shakespear­e que Paul Claudel. À bientôt 84 ans, Belmondo a gardé ce charme, cette insolence, cette désinvoltu­re qui sont sa signature. Le tout inclus dans un océan de gentilless­e et de bienveilla­nce. Rare interview.

« MADAME FIGARO ». – Comment avez-vous choisi les douze films qui vont être diffusés du 18 au 23 février sur Canal+ *, qui, le temps de l’hommage qui vous est consacré, sera rebaptisé Canal Belmondo ?

JEAN-PAUL BELMONDO.

– Ce n’est pas moi qui les ai choisis, mais mon fils, Paul. Je n’ai pas assez de recul ni de jugement sur les films que j’ai tournés. Je sais qu’il y en a de bons, mais aussi de moins bons. Quel est votre plus mauvais souvenir ?

– Je n’en ai pas. Même mes mauvais films deviennent, à la longue, de bons souvenirs. Moi, je les aime tous. Je n’en renie aucun. Ils m’ont procuré tant de joie. Alors, votre meilleur souvenir ?

– C’est « l’Homme de Rio ». Le tournage me laisse des souvenirs solaires. À l’époque, aller tourner au Brésil représenta­it une vraie excentrici­té. C’était loin, exotique, nouveau. Une véritable aventure. Nous n’avions pas beaucoup d’argent. Nous fonctionni­ons comme une petite colonie de vacances autour de Philippe de Broca. Pour décrire les aventures d’Adrien Dufourquet, mon personnage, Broca ne s’était fixé qu’une seule règle : lui faire utiliser tous les moyens de locomotion. En fan de Tintin, il avait décidé de faire ce film comme une BD, sans se priver d’aucune fantaisie. Et puis, bien sûr, il y avait Françoise Dorléac. Exquise, charmante, drôle. Comme moi, elle aimait s’amuser. Nous faisions la bringue. Le film a connu un immense succès dans le monde entier. Steven Spielberg a même écrit à Philippe de Broca qu’il l’avait vu neuf fois et s’en était inspiré pour son « Indiana Jones ».

Dix ans plus tard, vous tournez

« le Magnifique »…

– Avec le même Philippe de Broca. Avec lui, c’était toujours une immense rigolade. Et, cette fois, j’étais accompagné de Jacqueline Bisset.

Vous n’avez pas tourné avec les plus laides…

– Claudia Cardinale, Gina Lollobrigi­da, Jeanne Moreau, Laura Antonelli. On me posait toujours la même question : « Comment faitesvous pour rester fidèle à votre épouse avec toutes ces femmes sublimes avec qui vous travaillez ? » On me soupçonnai­t d’être l’amant de toutes ces sublimes actrices. Ce qui était faux. Jusqu’à Ursula Andress, rencontrée

IL EST L’UN DES GÉANTS DU CINÉMA FRANÇAIS.

À LA VEILLE DES CÉSARS ET D’UNE SEMAINE D’HOMMAGES SUR CANAL+ À LAQUELLE PARTICIPE JEAN DUJARDIN, RENCONTRE AVEC UN HOMME DE BRIO.

sur le tournage des « Tribulatio­ns d’un Chinois en Chine », toujours de Philippe de Broca. Ursula était une tigresse suissesse ultra-dynamique. J’avais un besoin de conquête.

Comment expliquez-vous votre carrière, si riche, si éclectique, qui va des films de la Nouvelle Vague à des comédies archipopul­aires ?

– Je vous l’accorde, il n’y a pas beaucoup de cohérence. C’est ma nature. Je suis indiscipli­né.

J’ai toujours fait le clown. J’étais un cancre. J’ai été renvoyé de l’École alsacienne. J’ai mis du temps à démarrer. D’abord, il y a eu les cours de théâtre, puis la sentence de René Simon, directeur du Cours Simon : « Mais, mon petit, tu n’es pas fait pour ce métier. » Vous voyez, il ne faut jamais écouter les grandes personnes. Moi, j’ai seulement écouté mon père, qui m’a toujours dit : « Il faut continuer quoi qu’il arrive. » J’ai continué et, un jour, Jean-Luc Godard m’a appelé pour être « son » comédien dans

« À bout de souffle ». Il ne m’a pas donné de scénario et m’a dit : « C’est l’histoire d’un type. Il est à Marseille. Il vole une voiture pour retrouver sa fiancée. Il va tuer un flic. À la fin, il meurt ou il tue la fille. On verra. » Il était bizarre. Un soir, on dîne dehors. Il ne dit rien de tout le dîner. Moi, j’essaie de meubler et de combler les silences. À la fin, il paie et me dit : « J’ai passé une très bonne soirée. » Pourquoi vous a-t-il choisi ?

– Il m’avait vu dans un film de Marc Allégret : « Un drôle de dimanche », avec Bourvil et Danielle Darrieux. Après le succès de « Pierrot le Fou », je n’ai plus arrêté. J’ai eu vraiment beaucoup de chance d’alterner les films avec Godard, Truffaut, Peter Brook, Philippe de Broca et Henri Verneuil, qui avec « Un singe en hiver » m’a fait rencontrer Jean Gabin, le seul acteur

Dujardin, c’est l’aisance, le naturel, l’humour. Un acteur, un vrai

qui m’ait impression­né. Le premier jour, on boit un verre ensemble et il me dit : « Chacun paie le sien ? » Ça commençait bien. Il ne disait rien, faisait son travail et, quand il avait fini, retournait lire « Paris-Turf ». Puis, un jour, on s’est mis à parler boxe, et ça a été le dégel. Tous les soirs, on se tapait la cloche dans les restaurant­s du coin, à Deauville. On rentrait un peu ivres. Et, chaque matin, Gabin disait : « Ce soir, c’est jambon-salade ! »

Les acteurs essaient souvent de devenir réalisateu­rs. Vous, non. Pourquoi ?

– Je n’ai pas le sens de la mise en scène, et quand on a travaillé avec les meilleurs réalisateu­rs, cela rend modeste.

Comment vous êtes-vous forgé cette image d’acteur « cool » ?

– Je n’ai rien fabriqué du tout. À notre époque, le marketing n’existait pas. Je m’habillais sans vouloir créer un personnage, avec

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Jean-Paul Belmondo et Jean Dujardin : le panache en héritage.
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