Madame Figaro

“DÈS QUE LA CONDITION FÉMININE S’AMÉLIORE, LE VÊTEMENT S’ASSOUPLIT”

- PAR GEORGES VIGARELLO * * Auteur de « Révolution­s de la robe du XVIIIe siècle à nos jours », aux éditions du Seuil, à paraître en septembre.

CComment trouvez-vous que le vêtement a évolué cette saison? À l’évidence, il privilégie le confort. Être à l’aise devient, pour la femme, un impératif. Non par négligence ou par volonté de se laisser aller, mais pour une autre raison, toute nouvelle : celle d’avoir envie de se faire du bien. Pendant des années, les femmes se sont imposé le port de vêtements de combat, de carapaces, d’armures, qui prenaient la forme d’un tailleur-pantalon strict emprunté au vestiaire masculin, ou d’un tailleur-jupe très près du corps avec des stilettos impraticab­les, pour continuer à être séductrice­s et prédatrice­s. Aujourd’hui, elles veulent être en paix avec elles-mêmes.

À quoi attribuez-vous cette évolution ?

Au fait que la femme a acquis son indépendan­ce. Elle est dans une phase d’apaisement avec elle-même. Elle s’assume, se sent plus cool et sûre d’elle. Ce nouvel état est le résultat d’une ultime conquête : celle de la maîtrise de sa sensibilit­é intérieure. Elle s’autorise à dominer, à analyser, à décortique­r ses messages intérieurs. Ce que j’appelle le développem­ent de sa sensibilit­é, capital pour comprendre ce que l’on ressent, ce à quoi on aspire, ses envies, ses désirs. L’habit est en relation avec ces émotions. Il ne faut plus que le vêtement contraigne les femmes et les empêche de s’exprimer. Aujourd’hui, plus que jamais, la mobilité et l’aisance dans ses mouvements sont essentiell­es. La femme sait qu’elle doit être mobile, que plus rien n’est figé ni acquis. Ni la vie personnell­e ni la vie profession­nelle. Et pour bouger, il faut être doté d’une liberté psychologi­que que confère une aisance physique.

Cette liberté du vêtement est-elle le résultat de la crise économique ?

Ce n’est pas lié seulement à la crise, mais aussi à l’évolution du statut de la femme. L’obtention du droit de vote, l’ouverture aux mêmes métiers que ceux des hommes, la liberté sexuelle, l’accès au plaisir, le droit de ressentir tout ce qu’il est possible de ressentir… Les femmes, même si elles ont conscience qu’il existe encore un plafond de verre, ont le sentiment que l’égalité est acquise. Tout cela favorise le mouvement. Ce qui me frappe et qui pour moi est nouveau, c’est que cette revendicat­ion n’estplus collective mais individuel­le. La femme est aujourd’hui suffisamme­nt forte pour accepter son individual­ité. Elle a mis l’uniforme au rebut.

Cet état des lieux correspond-il à un cycle ?

L’histoire de la mode est ponctuée d’allers et retours. Dès que la condition féminine connaît une légère améliorati­on, le vêtement s’assouplit. Au moment de la Révolution française, qui représente pour les femmes un espoir de liberté et d’égalité, les vêtements deviennent fluides et les bustes rigides tombent. À l’inverse, au moment de la Restaurati­on, qui prône un retour à l’ordre politique et social, la rigidité dans le vêtement revient avec des jupons encombrant­s, des collerette­s qui ferment le cou. Pendant la Première Guerre mondiale, les femmes se coupent les cheveux à la garçonne et portent des pantalons.

On peut multiplier les exemples… S’adjoint aujourd’hui quelque chose de nouveau qui vient de la disponibil­ité psychologi­que que les femmes s’accordent, et qui se traduit par un vêtement plus fluide sur lequel on pourrait inscrire ce logo, « comment faire pour me sentir mieux ? », le nouvel impératif catégoriqu­e féminin.

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