Métropolitain par Marc Lambron.
Pour éviter un décompte de mon temps de parole par le CSA, je fuis les remugles de la campagne présidentielle afin de privilégier les émotions esthétiques. De l’art ! Cela m’a permis, au Théâtre du Rond-Point, à Paris, de passer une soirée avec Pierre Richard, 82 ans, seul en scène pour un « Petit Éloge de la nuit ». La romancière Ingrid Astier, une habituée de la « Série noire », a broché un florilège de textes où elle fait le lien entre Edgar Poe et Maupassant, Baudelaire et Henry Miller, Henri Michaux et Milan Kundera. Utilisant le contrepoint de vidéos où apparaît parfois la danseuse étoile MarieAgnès Gillot, le grand blond avec une nuit noire flotte comme dans un rêve, corps plastique et onirique d’où sortent des poèmes, sachant imprimer à ses mouvements des ralentis de vieux film, assis, couché, se relevant, tel un passe-muraille qui émettrait entre deux songes des blocs de mots attachés à des ballons d’hélium. Le langage lui-même paraît rêver dans un corps qui néglige d’avoir son âge, puisqu’il les traverse tous. C’est à la fois hypnotique et tonique– les fragments d’un discours nocturne avant le grand sommeil. De l’art ! À l’Orangerie, toujours à Paris, exposition des chefs-d’oeuvre de la collection Ishibashi. Né en 1889 et mort en 1976, le magnat japonais de la firme de pneumatiques Bridgestone a commencé à acquérir, dès les années 1930, des oeuvres d’artistes français, la gomme conduisant à la cimaise. Entre cent splendeurs évidentes me requièrent quelques toiles plus discrètes. Un portrait de jeune homme au piano par Caillebotte, scène suspendue d’un possible roman de Zola. « L’Inondation à Argenteuil », un Monet de 1872, jaillissement d’arbres dépouillés dans un Déluge cantonal. Et cette « Rue de village à Marlotte », un Sisley de 1866, où les murs de pierre grise, l’austérité caillouteuse d’un chemin de lisière me font soudain songer, en superposition, au Rimbaud de la première adolescence, au Prix d’excellence qui sera bientôt le trimardeur rageur des routes noyées de ciel.
De l’art ! En DVD, « Rendez-vous avec la peur », de Jacques Tourneur, avec Dana Andrews et Peggy Cummins. Une intrigue britannique de 1957, fertile en magie noire et sectes satanistes. Comme chez Lovecraft, le monstre est trop littéral et sent le carton-pâte. Mais, comme chez Lovecraft, le climat de terreur imminente est somptueusement suggéré. Martin Scorsese considère cet opus comme l’un des dix films les plus effrayants de l’histoire du cinéma. En effet, c’est à sursauter au moindre bruit de tuyauterie. Quant à la charmante Peggy Cummins, née en 1925, elle semble toujours de ce monde en 2017. La longévité aussi est un art.