Madame Figaro

Urgence de l’empathie »,

- par Raphaël Glucksmann.

Achille, jeune guerrier tout-puissant, regarde à ses pieds un vieillard en larmes, Priam, venu le supplier de lui rendre le corps de son fils. Il pourrait, il devrait même tuer le roi de Troie. Mais il se met à sa place, se reconnaît en lui, le relève, lui donne le cadavre d’Hector et le laisse partir. Le concept d’empathie – la capacité à épouser le point de vue de l’autre, à ressentir ce qu’il ressent et à se figurer sous ses traits – est né, et notre civilisati­on avec lui. Voilà ce sur quoi repose notre vie en commun et ce que nous sommes en train de perdre. Nous savons tous que, sur Terre du moins, la cité de l’égalité parfaite n’existera jamais. Il y aura toujours des riches et des pauvres, des dominants et des dominés. Et pourtant, nous sommes appelés à former, par-delà nos inégalités de condition, un peuple. L’empathie est le liant nécessaire qui nous permet de faire société, et la campagne qui s’achève révèle son manque criant.

Sur nos cartes électorale­s, les couleurs vives et sombres dessinent nos fractures. Un pays en souffrance et des villes heureuses s’y regardent en chiens de faïence. Sans se comprendre. Avec ressentime­nt ou mépris.

Quelle que soit l’issue du vote de dimanche prochain, la grande tâche des années à venir sera, pour nous tous, de nous exercer au décentreme­nt. Il ne s’agit pas d’exiger du riche qu’il fasse voeu de pauvreté ou du bobo parisien qu’il s’établisse en Picardie, mais de les obliger à prendre l’autre en compte. L’arrogance des gagnants – des élections comme de la mondialisa­tion – précipiter­a la défaite de tous. Et stigmatise­r la colère des dépossédés ne résoudra rien. Il nous faudra relire « l’Iliade » et refaire France.

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