Madame Figaro

TOUT EN ELLE INCARNAIT LA VICTOIRE DE LA VIE

KARINE TUIL EST UN ÉCRIVAIN ENGAGÉ SUR LES QUESTIONS D’IDENTITÉ ET DE LIBERTÉ . DANS CE TEXTE TRÈS PERSONNEL, ELLE DÉCRIT L’INFLUENCE PROFONDE ET DÉCISIVE QUE SIMONE VEIL N’A CESSÉ D’EXERCER SUR SA GÉNÉRATION.

- Karine Tuil est notamment l’auteur de « l’Insoucianc­e », chez Gallimard, et de « l’Invention de nos vies », chez Grasset.

LES FEMMES DOIVENT TOUT AUX SIMONE. Je ne sais plus à quel moment de ma vie j’ai découvert le parcours de ces deux femmes exceptionn­elles, qui allaient changer ma façon de penser et de voir le monde – dans toute sa complexité – : Simone de Beauvoir et Simone Veil. La première m’a donné le goût de la littératur­e, de la philosophi­e ; la seconde m’a permis d’appréhende­r la part tragique de la condition juive – et, à travers elle, de la condition humaine. Toutes deux m’ont amenée à affirmer mon féminisme et les combats qu’il impose, mais aussi mon désir de défendre ma liberté – qui n’est jamais acquise et toujours, toujours, à conquérir. Sans elles, je ne serais pas devenue écrivain. Je ne serais pas devenue une femme engagée dans le débat public, soucieuse de la défense des droits des femmes et des minorités. Je n’ai pas eu la chance de les rencontrer. J’ai un peu approché Simone Veil à travers les paroles de ceux qui l’avaient connue et aimée. Elle m’impression­nait d’abord physiqueme­nt : c’était une belle femme, une nature forte et solaire qui irradiait. Le charisme est affaire de présence : son autorité natu- relle, cette prestance qui lui avait permis de s’imposer dans les milieux les plus misogynes, cette intellectu­alité sans afféterie, la classaient dans la catégorie des êtres auxquels la grâce semble avoir été donnée dès la naissance. En apparence seulement, car on devinait la douleur profonde derrière le masque lumineux, une gravité secrète que j’avais perçue aussi chez Elie Wiesel et d’autres survivants de la Shoah, qui avaient tout perdu mais étaient restés debout, infatigabl­es témoins, passeurs d’une histoire tragique. Tout en elle résistait. Tout en elle incarnait la victoire de la vie et, avec elle, celle d’un humanisme profond, constant, sans concession. Simone Veil avait affronté toutes les formes de la violence sans jamais ployer ou céder à l’adversité. On la qualifiait de « grande dame », de « femme politique hors du commun », de « combattant­e » ; c’était, avant tout une femme qui avait fait de l’altérité le centre de sa vie. La loi qui porte son nom a changé la vie de millions de femmes. C’est son parcours tout entier qui a changé la mienne. Une grande voix s’est éteinte, mais son courage, ses engagement­s politiques – l’exemplarit­é de toute une vie – resteront pour toujours une influence et un modèle.

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Simone Veil, en 1983.

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