Événement :
De sa naissance en 1947 à nos jours, de son visionnaire fondateur à l’ère Maria Grazia Chiuri, c’est toute l’histoire vertigineuse de la maison Christian Dior que retrace le musée des Arts décoratifs. Les deux commissaires de cette exceptionnelle expositi
Dior au musée des Arts décoratifs.
HAUTE COUTURE
« Nous avions envie de montrer au grand public ce qui reste sujet à beaucoup de fantasmes, précise Olivier Gabet (1). À savoir la haute couture, sa magie, ses savoir-faire exceptionnels, ces laboratoires de recherche où rien n’est impossible, et l’énergie des créateurs qui la réalise… Lors des défilés, elle n’est visible que par 500 personnes, puis après elle disparaît. Je suis heureux de pouvoir enfin dévoiler ces créations exceptionnelles, ces robes qu’on ne voit pas dans la rue et la vie de tous les jours. » « Souvenons-nous aussi, rappelle Florence Müller (2), que la haute couture doit beaucoup à Christian Dior. C’est lui qui la relance en 1947. Avant 1939, le monde entier venait s’habiller à Paris. Puis les acheteurs américains, pendant la guerre, ont pris l’habitude de se passer de la France et ont commencé à créer eux-mêmes leurs modèles, sans s’inspirer des couturiers parisiens. Après-guerre, ces derniers ont essayé de reconquérir les marchés étrangers avec une entreprise commune baptisée “le Petit Théâtre de la mode”, qui a voyagé en 1945 et 1946 en Europe et aux États-Unis. Il s’agissait de soirées de gala présentant des poupées de mode accessoirisées avec les robes de couturiers en miniature, mais aussi avec les créations des joailliers de la place Vendôme. » Cela n’a pas suffi. Et puis est arrivé le 12 février 1947…
12 FÉVRIER 1947
« Christian Dior présente sa première collection, raconte Florence Müller, la salle est pleine car le couturier a un réseau important grâce à ses années de galeriste. En revanche, les acheteurs américains sont déjà repartis car le défilé d’un inconnu ne les intéresse pas. Mais les journalistes américaines sont, elles, bien là, et elles sont enthousiastes. La silhouette de Christian Dior est révolutionnaire. Exit le genre masculin, les épaules carrées et les petites jupes étriquées de la guerre, bienvenue à la femme fleur, épanouie, tout en courbes, taille cintrée, les épaules douces et arrondies, la poitrine mise en valeur, et vêtue de jupes immenses nécessitant un métrage de tissu jamais vu – un scandale dans une France ruinée où l’achat de textile est encore soumis aux tickets de rationnement. Mais le message sousjacent est incroyablement optimiste : c’est la croyance en un futur meilleur, un monde animé d’élégance et de beauté, hymne à la vie et à la fécondité. Résultat : les journalistes prennent leur téléphone et disent aux acheteurs américains de revenir à Paris s’offrir ce New Look, qui, fait unique dans l’histoire de la mode, rencontrera d’emblée un écho planétaire. Redonnant ainsi à la mode ses lettres de noblesse, et à Paris sa place de numéro un. »
COUPS DE TRAFALGAR
Christian Dior serait-il l’inventeur du fameux « effet waouh » ? Ses « coups de Trafalgar », dont il parsemait ses collections, s’en rapprochent fortement. « Ce passionné d’art, de cinéma, de théâtre, d’opéra... était un homme de spectacle, explique Olivier Gabet, il avait compris qu’il fallait des temps faibles et des temps forts dans les défilés, des moments fulgurants. Alors, paf ! il envoyait une robe spectaculaire – telle la féerique robe du soir Junon, en tulle brodé de paillettes –, dont le choc et l’éblouissement lui permettaient de frapper un grand coup. Il utilisait aussi la couleur, tel le rouge Diable, pour réveiller le spectateur. »
AVANT-GARDE
Radical, le tailleur Bar de 1947 ? « Pour un public non averti, ce n’est pas évident, raconte Olivier Gabet. Car cette icône de la mode peut paraître classique et d’une élégance bourgeoise aux yeux des nouvelles générations.
À l’époque, il a pourtant été considéré comme révolutionnaire et extravagant. Et c’est le Christian Dior avant-gardiste qu’on a aussi eu envie de montrer dans l’exposition. En mettant notamment en avant son parcours précédant son entrée dans la mode, les artistes qu’il fréquentait lorsqu’il était galeriste. Dans les années 1920, il était proche, avant tout le monde, de Salvador Dalí, d’Alberto Giacometti, du groupe des Six, d’Henri Sauguet, d’Emilio Terry… Il n’était pas dans la petite avant-garde mièvre et gentille, mais dans la vraie avant-garde engagée, entouré de personnalités “on the edge” (NDRL : en marge). L’homme était précurseur, visionnaire, moderne dans tout ce qu’il brassait, et cet esprit l’accompagne d’ailleurs au moment de la fondation de sa maison de couture. Il fut aussi l’un des premiers à recourir à des collaborations, comme celle qu’il met en place avec Swarovski à partir de 1956. Cette année-là, il demande au géant du strass de mettre au point un cristal bleuté très beau, appelé aurore boréale, qui sera utilisé dans de nombreuses broderies et parures Dior par la suite.»
ARTS DÉCORATIFS
Christian Dior et le musée des Arts décoratifs (3), c’est une longue histoire. La précédente rétrospective parisienne consacrée au fondateur de la maison de couture s’y est tenue en 1987 et était centrée sur les dix années de création du couturier, de 1947 à 1957. « Quand nous avons commencé à travailler sur cette nouvelle exposition, Florence et moi-même, raconte Olivier Gabet, nous avions l’intuition que le lien entre le musée et Christian Dior était encore plus important que tout ce qu’on pouvait imaginer. Et nous avons découvert dans nos recherches qu’en 1955, à l’occasion d’une exposition au musée des Arts décoratifs présentant les grands ébénistes français du XVIIIe siècle, Christian Dior a organisé un défilé de haute couture lors du vernissage. Nous avons retrouvé certaines des robes ainsi que des photographies extraordinaires de ce happening. On peut y voir à quel point l’harmonie des robes imaginées par Christian Dior et les objets exposés est totale. » « Il faut aussi rappeler, poursuit Florence Müller, l’importance de la maison Dior en 1955. Bien sûr, Christian Dior était déjà reconnu comme un collectionneur, un homme de goût et un grand connaisseur du XVIIIe siècle, mais sa maison de luxe est aussi d’une telle importance dans les années 1950 – elle représentait 55 % des exportations de haute couture à l’étranger – qu’elle a aussi et déjà une reconnaissance muséale. »
FIL ROUGE
Qu’est-ce qui relie les six directeurs artistiques qui ont succédé à Christian Dior ? Yves Saint Laurent, l’héritier rebelle ; Marc Bohan, l’homme de son temps, maître du tailleur et du manteau ; Gianfranco Ferré, l’italien baroque ; John Galliano, l’extravagant talent ; Raf Simons, le moderniste minimaliste ; et enfin, Maria Grazia Chiuri, la féministe ? L’exposition, découpée en parcours chronologique et thématique, apporte la réponse. « On se rend compte, analyse Olivier Gabet, que Christian Dior, en seulement dix ans – ce qui est très court – a posé un vocabulaire si puissant que, malgré les différences de styles de ceux qui lui ont succédé, tous les grands sujets Dior s’imposent d’eux-mêmes à travers toutes les collections, de 1947 à nos jours. La féminité et l’élégance, bien sûr, mais surtout ce rapport à la peinture, si fort chez Christian Dior comme chez ceux qui lui ont succédé. Maria Grazia Chiuri exprime dans ses collections actuelles ce même goût prononcé pour la picturalité. Dans cette exposition, nous avons aussi voulu que les oeuvres de Sterling Ruby dialoguent avec les créations de Raf Simons, celles de Boldini avec les robes de John Galliano. Ce dernier a ressuscité ce grand peintre vénéré par Christian Dior dans de nombreuses créations, telle sa robe baptisée Madeleine (en hommage à la mère du fondateur), qui s’inspire du tableau “Madame Charles Max”, du peintre italien. L’autre thème fondamental est celui du jardin – la fameuse femme fleur –, qui lui vient de son enfance à Granville, et que l’on retrouve aussi tout au long des soixantedix ans de création de la maison Dior. »
COLLECTION CHOC
Y a-t-il une vie après le New Look ? La réponse est oui. D’après Florence Müller, « Christian Dior lui-même s’imposait sur chaque défilé une nouvelle ligne, effaçant celle de la saison précédente. Yves Saint Laurent a aussi
fortement marqué les esprits avec sa collection Trapèze de 1958, dont la ligne désentravait le corps et préfigurait tout ce qu’on allait avoir envie de porter dans les années 1960, ou avec sa collection Beatnik de 1960, qui s’inspirait des bad boys qui roulent à moto et pour laquelle il introduisit une matière totalement nouvelle, le cuir noir. Idem pour le Slim Look de Marc Bohan en 1961, qui incarnait vraiment l’esprit des années 1960, cette nouvelle morphologie androgyne à la Twiggy, petite poitrine, corps élancé, jambes minces… Et puis, évidemment, on se souvient tous de la collection Clochard de John Galliano en 2000, dont le scandale fut retentissant. »
BEAUTÉ
L’univers de la maison Dior ne serait pas complet sans évoquer les parfums, le maquillage et l’image. Dans la salle Dior, Couturier-Parfumeur, le visiteur découvre ainsi Miss Dior, la première-née des fragrances de la maison créée en même temps que la première collection. Les portraits de François Demachy, l’actuel parfumeur-créateur Dior, ainsi que ceux des grands talents de la beauté Dior – Serge Lutens, Tyen et Peter Philips, l’actuel directeur de la création et de l’image du maquillage Dior – viennent compléter ce parcours en beauté. « C’est une histoire très importante, analyse Olivier Gabet, qui démarre avec Miss Dior et René Gruau, cet immense illustrateur qui va créer toute l’image des parfums Dior. Puis arrive Serge Lutens, qui transforme radicalement le monde de la beauté en l’abordant comme un artiste dans les années 1970. Il crée cette iconographie unique qui s’inspire des années 1920, du cinéma muet, avec cette vision très éthérée de la femme. La notion de direction artistique de la beauté a été inventée par lui. »
HAUTE FOURRURE
Qui connaît Frédéric Castet ? Ce collaborateur illustre de la maison est à découvrir également dans l’exposition. « Frédéric Castet, raconte Florence Müller, était le créateur de l’exceptionnel département fourrure de Dior. Il est celui qui a désacralisé la fourrure en lui retirant son côté bourgeois. Il en a fait un objet mode en le rendant encore plus luxueux. De lui, on expose deux magnifiques manteaux paysages colorés conçus comme des cartes postales de Paris, tellement fous et extravagants qu’on ne pouvait les porter qu’une fois. »
Christian Dior était précurseur, visionnaire, moderne dans tout ce qu’il brass ait... OLIVIER GABET
BAL MERVEILLEUX
Le parcours de l’exposition s’achève dans la nef, décorée comme une salle de bal pour une présentation de robes du soir incroyables, dont celles conçues par Maria Grazia Chiuri pour sa première collection haute couture chez Dior. Certaines ont été portées par des clientes célèbres, de Grace de Monaco à lady Diana, en passant par Charlize Theron, Jennifer Lawrence ou Rihanna. « Christian Dior a grandi dans cette esthétique des grands bals européens, conclut Olivier Gabet. On a envie que le public s’émerveille devant cette poésie et comprenne pourquoi Dior est encore aujourd’hui synonyme de glamour absolu. »
(1) Directeur du musée des Arts décoratifs de Paris. (2) Historienne de la mode et conservateur de l’Avenir Foundation des arts du textile et de la mode au Denver Art Museum. (3) « Christian Dior, couturier du rêve », au musée des Arts décoratifs, à Paris, jusqu’au 7 janvier 2018. www.lesartsdecoratifs.fr