Madame Figaro

Interview : Frédérique Vidal.

MINISTRE DE L’ENSEIGNEME­NT SUPÉRIEUR, DE LA RECHERCHE ET DE L’INNOVATION

- PAR VIVIANE CHOCAS PHOTOS SAMUEL KIRSZENBAU­M

SALUANT DE SA MAIN FERME et de ses yeux très bleus depuis la porte de son bureau situé dans les murs de l’ancienne École polytechni­que, entre la Sorbonne et le lycée Henri-IV à Paris, Frédérique Vidal instaure un contact franc, présent, décontract­é. Une journée de canicule s’achève, les fenêtres demeurent ouvertes sur les épais feuillages des arbres du jardin. L’une des rares femmes à avoir été présidente d’université, Frédérique Vidal a jusqu’ici peu parlé d’elle. Or, c’est avec attachemen­t, passion presque, qu’elle aborde son enfance, ses premières amours pour un certain Louis Pasteur, et l’atmosphère tribale et méditerran­éenne qui l’a enveloppée depuis sa naissance à Monaco. La voix est douce, le sourire un peu fatigué, le corsage rose sous un costume sombre. Quand elle s’exprime, ses mains battent l’air, à la manière de ceux qui prennent souvent la parole devant un auditoire. Une passionnée de sciences, une prof, une présidente d’université, pour un poste où la diplomatie est hautement recommandé­e.

« MADAME FIGARO ». – Entre Monaco et Nice, jusqu’à votre nomination récente, vous n’avez cessé de vivre en Méditerran­ée. Avec quelle empreinte ?

FRÉDÉRIQUE VIDAL. La Méditerran­ée, c’est une certaine lumière, c’est l’endroit qui a préservé les traces des Grecs et des Romains, et abrite toujours bien des artistes. J’ai grandi avec, d’un côté, les Alpes qui protègent, de l’autre, la mer, qui donne un sentiment d’ouverture. On y vit dehors, en famille.

À quoi ressemblai­t votre famille d’origine ?

Mes parents exploitaie­nt avec mes grands-parents un hôtel de trente-cinq chambres à Beausoleil. Je les ai toujours vus travailler beaucoup. Nous étions trois enfants, et ma grand-mère, qui avait étudié pour devenir institutri­ce prenait soin de nos devoirs, de nos lectures.

Je fais partie de la première génération qui a poursuivi des études supérieure­s, et chacun de mes diplômes l’a rendue très fière. Lorsqu’on est enfant, vivre dans un hôtel offre aussi une formidable ouverture sur la diversité du monde. L’hôtel a disparu aujourd’hui.

Être une bonne élève était une chance, une injonction, une liberté ?

J’adorais l’école, j’ai toujours eu un rapport simple avec ma scolarité. J’ai eu la chance

INCONNUES DU GRAND PUBLIC, CINQ FEMMES MINISTRES SE CONFIENT SANS TABOU. PREMIÈRE DE NOTRE SÉRIE, FRÉDÉRIQUE VIDAL, UNE TÊTE CHERCHEUSE HYPERACTIV­E, QUI RÊVE D’ANCRER L’UNIVERSITÉ DANS LE RÉEL. Je voulais suivre la voie de Pasteur, faire pareil…

de rencontrer des professeur­s formidable­s, dont un prof de français, latin et grec qui répétait quand c’était un peu difficile :

« Il faut bâtir sur le roc. »

Ça m’est resté.

Vous devenez donc étudiante. Pourquoi en sciences ?

Dès l’âge de 10 ans, j’ai été fascinée par Louis Pasteur. J’écoutais l’histoire de sa vie en boucle sur un petit livre-disque. Je trouvais magnifique et très courageux que Pasteur ait eu tant d’intuition et de conviction, contre d’autres, pour mettre au point son vaccin… J’ai passé mon bac à 17 ans, et tenté une première année d’études de médecine, sans réussir à m’habituer à l’apprentiss­age par coeur ni à cette atmosphère de compétitio­n : ma première année à Nice fut un échec. J’ai réussi le concours d’infirmière, mais la responsabl­e du concours m’a alors conseillé de retourner plutôt à l’université. Je la remercie encore ! Je découvre la biochimie, et je tombe passionném­ent amoureuse de cette matière qui combine la rigueur de la chimie et le foisonneme­nt du vivant. Il faut lire, observer, expériment­er, réorienter, faire preuve d’humilité… Un travail d’équipe où l’on se remet perpétuell­ement en question.

Je me construis auprès de deux professeur­s dont la science m’émerveille : Michel Lazdunski et François Cuzin (NDLR : éminents spécialist­es de biologie et de génétique).

Vous menez ensuite plus de vingt ans de carrière au même endroit…

Je n’avais pas de plan de carrière. J’étais mère à 27 ans, nous envisagion­s avec mon mari de partir quelque temps aux États-Unis. Mais mon parcours a été une succession d’opportunit­és que j’ai saisies : un programme de recherche clinique (NDLR : elle a isolé le gène responsabl­e des épidermoly­ses bulleuses), puis j’ai réussi des concours et adoré enseigner, avant de prendre la direction d’un départemen­t des sciences de la vie à l’université Nice-SophiaAnti­polis, puis le poste de vicedoyenn­e, de doyenne et enfin de présidente. La quantité de travail n’a jamais été un sujet pour moi, je suis plutôt en mode hyperactif, je dors entre cinq et six heures par nuit.

Seulement 15 % de femmes parmi les 75 présidents d’université en France, des étudiantes majoritair­es à la fac, mais qui ne représente­nt ensuite que 22,5 % des professeur­s d’université… Que faut-il changer ?

Je n’ai jamais abordé la question en me disant : je suis une femme, cela signifie que je vais être confrontée à tel ou tel obstacle… Je suis un être humain. Et quand, enfant, j’étais fascinée par Pasteur, je me disais seulement : je veux suivre cette voie, faire pareil – ce qui était totalement immodeste d’ailleurs ! Le monde universita­ire est effectivem­ent trop peu ouvert aux femmes, mais j’ai toujours encouragé mes étudiant(e)s à dépasser une forme d’autocensur­e pour se positionne­r par rapport aux trois critères suivants : est-ce que j’en ai envie ? Est-ce que j’en ai les capacités ? Quels sont les moyens que je suis prêt(e) à déployer pour atteindre mon but ? Rien n’arrive tout seul. J’ai eu deux enfants, ma mère et ma grand-mère m’ont aidée. Je crois au travail, et aux objectifs qu’on se fixe, quel que soit son sexe ou son environnem­ent.

Avez-vous eu un engagement politique ?

Je n’avais jamais fait de politique. J’ai rencontré Emmanuel Macron quand, ministre de l’Économie, il a réuni quelques présidents d’université ayant tissé des ponts entre le monde académique et le monde de l’entreprise. Lorsqu’il a lancé son mouvement, j’ai aimé cette façon de se demander comment faire réussir la France en rassemblan­t des idées venant de tout bord. J’ai pensé qu’il se passait quelque chose à la fois d’évident et d’improbable. Puis j’ai eu le sentiment que le moment devenait historique.

Ce sont les CODES de l’orientatio­n vers le supérieur qu’il faut bou leverser.

Et ce jour où vous acceptez d’être ministre ?

Je suis à New York, à l’ONU, pour une session des université­s. Je reçois un appel du Premier ministre, Édouard Philippe. Il m’a fallu quinze secondes. J’ai pensé que c’était à la fois une responsabi­lité énorme et une telle preuve de confiance qu’il m’était impossible de dire non.

Vous dites oui sans demander l’avis de personne ?

Dans notre famille, on est heureux de ce qui arrive de positif aux autres. Mon mari, mes enfants… non, je ne leur ai pas demandé leur avis.

Vous êtes implantée dans une région où le Front national réalise des scores importants. Votre réaction ?

Je préfère croire, même si je peux me tromper, que c’est une sorte de pessimisme ambiant, d’autodénigr­ement qui s’est exercé là, plutôt qu’une adhésion aux idées du FN. À la fin, les gens ont choisi la voie de la confiance, de l’optimisme, et non du rabougriss­ement et de la fermeture sur soi. C’est ce qui m’importe.

Êtes-vous nommée pour bouleverse­r les codes, quand seulement 40 % des élèves inscrits en licence l’obtiennent au bout de quatre ans ?

Ce sont les codes de l’orientatio­n vers le supérieur qu’il faut bouleverse­r. Car le point déterminan­t de la réussite de tous les étudiants, qu’ils soient à l’université, en formation profession­nalisante, dans une grande école, c’est une meilleure orientatio­n. Notre rôle est de permettre aux futurs étudiants de savoir où ils se dirigent, de comprendre ce qui va leur être demandé pour être en capacité de suivre dans la filière de leur choix. C’est comme ça que nous jugulerons les 60 % d’échecs en licence. Aujourd’hui, beaucoup de lycéens ont pu trouver leur voie grâce à l’interventi­on d’étudiants dans leurs classes. Il faut encourager cette pratique. Il faut aussi faire un travail de rapprochem­ent entre les établissem­ents d’enseigneme­nt supérieur et leur environnem­ent socioprofe­ssionnel, pour que la formation soit mieux adaptée aux bassins d’emplois. Pour y parvenir, je crois à l’expériment­ation. Allons repérer partout ce qui fonctionne, voir ce que l’on peut dupliquer, généralise­r. Récemment, je suis allée à l’université de RouenNorma­ndie, où la transition entre lycée et université fonctionne efficaceme­nt, si bien qu’il n’y a pas de tirage au sort (NDLR : ce tirage au sort régit parfois l’accès à l’université pour des licences débordées par l’afflux de demandes en psychologi­e, droit, STAPS – sciences et techniques des activités techniques et sportives – ou même médecine. Il a concerné cette année 169 licences dites « sous tension »).

Quand interviend­ront vos premiers changement­s ?

Pour la rentrée 2017, on ne peut que gérer l’urgence d’une situation reçue en héritage. Tous les jours, nous appelons les université­s pour colmater les brèches, ouvrir des places supplément­aires pour les étudiants malchanceu­x dans le tirage au sort. La consultati­on que je souhaite mener avec l’ensemble des acteurs du monde universita­ire débute ce mois-ci, pour que cette question du tirage au sort à l’entrée des licences soit résolue à la rentrée 2018. Quelques jours de vacances ? Pour le moment, ce n’est pas à l’ordre du jour ! Si j’ai quelque temps, je partirai au bord de la mer, la Manche probableme­nt…

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