Madame Figaro

MARLÈNE SCHIAPPA SECRÉTAIRE D’ÉTAT CHARGÉE DE L’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

DEUXIÈME FEMME AU GOUVERNEME­NT DE NOTRE SÉRIE, MARLÈNE SCHIAPPA SE CONFIE SANS TABOU. CRÉATRICE DU TRÈS CONCRET RÉSEAU MAMAN TRAVAILLE, CETTE ÉNERGIQUE TOUCHEÀ-TOUT EST UNE FEMME DE TERRAIN. UN PRAGMATISM­E À TOUTE ÉPREUVE.

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IL Y A EN ELLE QUELQUE CHOSE DE SAUVAGE. Dans le regard, sûrement. Peut-être aussi dans le mouvement de la chevelure, jamais totalement discipliné­e. Quelque chose de très brut et de très digne à la fois, qui dit déjà, avant l’entretien, l’attachemen­t familial aux valeurs de la République et du mérite, mais aussi un parcours et une action construits sur le terrain. Pour les amateurs d’académisme, on repassera. Le programme de Marlène Schiappa se distingue parce qu’il s’est nourri au plus proche des femmes qui travaillen­t et élèvent leurs enfants. Elle en fait partie et le ton très concret de son réseau Maman Travaille, qui a trouvé un écho en des milliers de membres, en témoigne. Entreprene­use aux multiples casquettes, workaholic (presque) infatigabl­e, la jeune femme de 34 ans rappelle qu’on peut être féministe loin des dogmes et faire de l’égalité hommes-femmes un combat efficace. Rencontre.

« MADAME FIGARO ». – Si l’on remonte à l’origine, quelles valeurs ont construit la femme que vous êtes ?

MARLÈNE SCHIAPPA. – Je suis issue d’une famille méditerran­éenne : mon père est corse, ma mère italienne, et le père de mes filles est marseillai­s. La famille est très importante pour nous. Mon père avait collé une citation sur son ordinateur : « Il faut travailler et encore travailler. » Je n’ai jamais vu ma mère assise sur un canapé. Elle était institutri­ce et militante politique, elle a passé des concours toute sa vie, jusqu’à devenir proviseur. Mon père a passé le Capes et l’agrégation, avant d’être nommé professeur d’histoire en université. Dans ma famille, tout le monde est prof – mes oncles, mes tantes. Ma soeur est directrice d’école, ma grandmère était institutri­ce au Maroc…

« Tout le monde est prof », pourquoi pas vous ?

C’est une question que je me suis posée longtemps. Petite, c’était le seul métier que je connaissai­s. En grandissan­t, j’ai eu envie d’autre chose : devenir journalist­e, écrire des livres, faire de la politique. J’habitais le quartier de Belleville, à Paris, dans une cité HLM, et les parents de mes amies me disaient : « Comment vas-tu faire ? Tu ne connais pas d’éditeur ! Ce n’est pas pour nous, ces choseslà. » Puis j’ai découvert les métiers de la communicat­ion, et cela m’a fascinée. J’avais besoin d’adrénaline. Je suis alors entrée à Euro RSCG.

J’ai eu du mal à créer mon propre modèle de mère PAR MORGANE MIEL / PHOTOS SAMUEL KIRSZENBAU­M

Avec votre réseau Maman Travaille, créé en 2008, et qui ambitionne d’informer les femmes sur leurs droits, vous semblez dans la protestati­on autant que dans la protection. Comment s’est forgé votre militantis­me ?

C’est une culture familiale. Mon père était militant à l’OCI (Organisati­on communiste internatio­naliste), ma mère au PS, et mon grand-père a créé Force ouvrière en Corse. Enfant, j’ai passé mes semaines à l’école avec ma mère, et mes week-ends sur des marchés à distribuer des tracts avec mon père. Je suis un peu la synthèse de tout cela. À l’ENA, j’ai animé un séminaire pour les femmes hauts fonctionna­ires de la Méditerran­ée, et j’ai donné des cours dans plusieurs facs et grandes écoles.

Que s’est-il passé quand vous êtes devenue, à 23 ans, une « maman qui travaille » ?

J’étais la première de mon groupe d’amies à avoir un bébé. Avec des parents profs, enfant, je n’étais jamais allée ni à la garderie ni au centre de loisirs. Quand je me suis rendu compte que dans la pub on devait travailler tous les soirs jusqu’à 20 heures alors que la crèche fermait à 18 heures, j’ai découvert un poids qui pèse encore essentiell­ement sur les épaules des femmes. J’ai démissionn­é d’Euro RSCG ni par ambition ni par carriérism­e : j’ai quitté cet univers que j’adorais pour lancer une activité de chez moi qui me permette de garder ma fille. Je l’emmenais partout où j’allais – réunions, conférence­s. J’ai eu du mal à créer mon propre modèle de mère. Le blog Maman Travaille, lancé à ce moment-là, est le reflet de ces interrogat­ions.

La maternité a été un vrai tournant pour vous…

J’ai toujours voulu avoir des enfants. Si j’avais pu être mère à 16 ans, je l’aurais fait. Souvent, on me dit : « Vous avez eu des enfants très jeune », mais cela m’a paru tellement long d’attendre jusque-là !

Comment briser le plafond VERRE de si l’on n’a pas de mode de garde ?

En 2013, vous devenez adjointe au maire du Mans…

Je suis venue au Mans avec mon mari et mes filles pour y vivre. Mon arrivée a coïncidé avec la publicatio­n du classement French Web-« le Parisien » dans lequel je figurais. Le maire (NDLR : Jean-Claude Boulard, PS) m’a proposé d’échanger sur les questions d’égalité hommes-femmes. Il a aimé mes propositio­ns concrètes et m’a proposé de rejoindre sa liste en tant que membre de la société civile, sans étiquette. J’ai accepté tout de suite.

Si je vous dis « pas plus de quatre heures de sommeil » (NDLR : le titre, paru aux éditions Stock en 2014, de l’un de ses quinze ouvrages !), que me répondez-vous ?

Que c’est toujours le cas, et cela depuis la naissance de ma première fille, il y a dix ans. L’allaitemen­t a perturbé mon sommeil. J’ai pris l’habitude de travailler la nuit, jusqu’à 3 heures.

Comment avez-vous rencontré Emmanuel Macron ?

C’était il y a exactement un an, à Laval. Je l’ai invité à venir rencontrer des start-up au Mans. Un mois plus tard, il était là. Je lui ai alors remis des notes d’analyse que j’avais rédigées, des études statistiqu­es sur le sujet de l’égalité hommes-femmes.

Et je lui ai donné mon livre « Plafond de mère » (éditions Eyrolles, 2015), en précisant : « Vous pouvez le donner à votre femme. » Il m’a répondu : « Pourquoi à ma femme ? C’est un peu sexiste comme remarque, je vais le lire aussi. » Trois semaines après, il me proposait d’animer une conférence sur les politiques publiques en matière d’égalité. Ensuite, il m’a demandé de construire le programme de la campagne sur ce sujet.

Pourquoi avoir rejoint

En Marche ! ?

Je ne me reconnaiss­ais pas dans les idées de la gauche traditionn­elle qui oppose salariés et patronat. J’ai été, à 25 ans, à la tête d’une petite entreprise, et je n’ai pas du tout le sentiment d’avoir été une patronne oppressive. Je pense qu’il y a beaucoup de jeunes et de femmes qui aspirent à créer leur entreprise. On ne peut pas, en 2017, maintenir une analyse des années 1980. Emmanuel Macron sait ce qu’est un « slasher » (NDLR : un actif qui cumule les emplois). Il sait que l’objectif n’est plus d’être en CDI toute sa vie, mais plutôt, pour notre génération, de trouver un sens à ce que nous faisons sans s’enfermer.

Mes parents, jusqu’à ce que j’entre au gouverneme­nt, étaient inquiets pour ma situation, ma retraite !

Que se passe-t-il le jour où vous acceptez d’être secrétaire d’État ?

Je l’ai appris le jour de l’annonce. J’avais travaillé pendant un an à construire un programme. Emmanuel Macron savait que je voulais le mettre en oeuvre .

Comment cela a-t-il bouleversé votre existence ?

Je vois mes filles une fois par semaine, désormais. Elles déménagent cet été à Paris, mais c’est quand même un choix, car la dernière n’a que 5 ans.

Votre mari était d’accord ?

La campagne pour les municipale­s de 2014 a déjà été dure pour notre famille, car, jusqu’alors, je m’occupais principale­ment des enfants : je les accompagna­is et j’allais les chercher tous les jours à l’école. Je les gardais aussi pendant les vacances scolaires. Depuis la campagne présidenti­elle et ma nomination, c’est essentiell­ement leur père qui s’en occupe. Il faut se réorganise­r. C’est difficile dans une famille quand le pôle d’attraction est toujours le même. Au Mans, dès que je claque la porte de chez moi, je suis sollicitée en permanence. J’ai pris un seul jour off en un an pour aller déjeuner avec les miens en terrasse, et nous nous sommes retrouvés avec vingt-cinq personnes qui voulaient évoquer leur dossier en cours. Mes filles disent cash à ceux qui m’abordent : « Vous avez dépassé votre temps ! »

Quelles seront vos mesures phares ?

Le congé maternité unique. J’entends travailler aussi sur deux axes majeurs : la transparen­ce dans l’obtention des places en crèche et l’action contre les violences sexistes et sexuelles. Comment briser le plafond de verre si l’on n’a pas de mode de garde et si l’on prend les transports en commun en regardant en permanence derrière soi ? Nous sommes en train de travailler sur la verbalisat­ion du harcèlemen­t de rue. Sur le sujet de l’égalité profession­nelle, nous prendrons les dix entreprise­s les plus mal classées du baromètre Ethics and Boards et nous leur demanderon­s d’effectuer une formation d’une journée, prise en charge par l’État, afin de les transforme­r en actrices et en acteurs de l’égalité profession­nelle. Si elles ne viennent pas, nous les exposerons publiqueme­nt.

Exercer le pouvoir autrement, est-ce possible ?

J’ai ouvert au ministère un « bureau des enfants », une pièce décorée et remplie de jouets, inspirée du « Kinderbüro » en Allemagne. Quand un collaborat­eur a un problème de garde, il peut s’y installer avec ses enfants pour travailler. Cela passe aussi par le recrutemen­t : notre directrice de cabinet a passé des entretiens avec l’équipe avant d’en passer avec moi. Mes collaborat­eurs ont ainsi choisi leur chef, et je pense que c’est assez innovant. La compositio­n du cabinet compte aussi : nous sommes un mélange d’origines, de parcours, d’âges… Tous hypercompl­émentaires.

S’entourer, c’est aussi faire confiance. Est-ce difficile ?

Oui. De nature, je suis plutôt quelqu’un qui fait confiance facilement et entièremen­t. Il y a un proverbe corse qui dit : « J’ai pardonné à tous ceux qui m’ont offensé, mais j’ai gardé la liste. » C’est à peu près cela.

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Marlène Schiappa

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