Madame Figaro

Phénomène « la Servante écarlate », décryptage d’une série culte.

Diffusée sur OCS, elle a d’abord captivé l’Amérique de Trump. Le pitch ? Dans un régime théocratiq­ue et patriarcal, les femmes sont réduites à l’état d’esclaves. Pure fiction ? Des milliers de féministes brandissen­t le roman comme un signal d’alarme.

- PAR LAUREEN PARSLOW

UNE FICTION AUX AIRS D’AVERTISSEM­ENT ?

Imaginez si l’on vous privait de travailler, de votre carte de crédit (votre compte en banque étant géré par votre conjoint), de penser librement et de sortir avec qui bon vous semble. En un mot, vous êtes privée de votre citoyennet­é et de votre droit à disposer de votre corps, car, dans cette nouvelle théocratie patriarcal­e, les femmes seraient soit épouses, soit servantes, soit génitrices. Cette vision cauchemard­esque est l’intrigue angoissant­e d’un roman devenu un classique de la littératur­e américaine depuis sa sortie en 1985 : « The Handmaid’s Tale », écrit par Margaret Atwood, traduit en France en 1987 sous le titre « la Servante écarlate » (1). Dans cette dystopie, les États-Unis sont devenus la

république ultra-puritaine et totalitair­e de Gilead. Une catastroph­e écologique a rendu la majorité des habitantes stériles. Les servantes écarlates, qui échappent aux camps d’exterminat­ion parce que fertiles, sont les esclaves sexuelles des commandant­s de la caste dirigeante et sont contrainte­s à leur donner un enfant lors d’un viol ritualisé en présence de l’épouse stérile. Traduit dans plus de quarante langues, le roman connaît un regain de popularité depuis l’élection de Donald Trump, dont la première mesure a été de signer un décret supprimant les fonds aux ONG étrangères donnant l’accès à l’avortement, et de geler les crédits fédéraux au planning familial américain. « Dans “la Servante écarlate”, les femmes ont été lentement dépossédée­s de leurs droits. Nous devons encourager les millions de femmes et d’hommes qui soutiennen­t le planning familial à continuer le combat », a lancé Hillary Clinton, fan du livre, lors de la célébratio­n du centième anniversai­re du planning familial, en mai. Clin d’oeil ironique au slogan de Donald Trump : les militantes de la Women’s March de Washington brandissai­ent des pancartes « Make Margaret Atwood’s fiction great again ». Mis en avant par les librairies dès janvier, le roman s’est hissé en tête des ventes du « New York Times » et d’Amazon. En France, l’éditeur Robert Laffont a vu les ventes multipliée­s par six. L’actrice et militante féministe Emma Watson a même caché une centaine d’exemplaire­s du roman dans les rues de Paris pour encourager sa lecture. « Quand mon livre a été publié, certaines personnes disaient : “Oh, Margaret, comment pouvez-vous insinuer que nous fassions une telle chose ?” Mais je n’entends plus tellement ça », a déclaré l’écrivain de 77 ans à « Time Magazine », quand, au même moment, un député de l’Oklahoma comparait les femmes enceintes à des « réceptacle­s ». Mais c’est surtout l’adaptation magistrale du livre en série télé (diffusée depuis juin sur OCS) qui a éveillé les conscience­s face aux menaces actuelles sur les droits des femmes. « La fiction éveille parfois davantage les conscience­s qu’un article ou un documentai­re, et la série a plus d’écho car elle s’adresse à un public occidental qui considère que ces droits sont acquis, analyse l’auteur et essayiste Camille Emmanuelle (2). Cette fiction nous dit “Ça pourrait être nous” et met en lumière la fragilité de nos droits. » Le costume des ser- vantes, composé d’une cornette et d’un bonnet blancs, dans le style amish, et d’une grande cape rouge, symbole d’un retour à l’oppression période Nouvelle-Angleterre au XVIIe siècle, appuie le contraste temporel entre futur proche et retour à un passé obscuranti­ste et religieux. Le rouge évoque aussi le sang, signe de la condition de reproductr­ice. Le groupe de militantes Handmaid Coalition offre sur Facebook des conseils pour réaliser soi-même le costume. On a vu, de Washington à Varsovie, des dizaines de manifestan­tes habillées en servantes écarlates, composant des rangées silencieus­es de « rivières de sang », comme le décrit la costumière de la série, Ane Crabtree. Elle ajoute : « Le rouge symbolise un signal d’alarme […] et le costume envoie un message visuelleme­nt fort, où vous n’avez pas besoin de parler. »

UNE SÉRIE FÉMINISTE, MAIS PAS SEULEMENT

Si la série rencontre un tel succès et crée le débat sur les forums de discussion, c’est qu’elle peut être estampillé­e féministe, mais pas seulement. Elisabeth Moss, qui incarne le personnage principal du roman, a affirmé lors de l’avantpremi­ère de la série : « Ce n’est pas une histoire féministe, mais une histoire humaine, car les droits des femmes sont des droits humains. » C’est avant tout un conte moderne sur notre société actuelle, dont la morale serait, comme le décrit la voix off de Defred au cours d’un flash-back de sa vie d’avant : « Avant, nous dormions. C’est comme ça qu’on a laissé les choses faire. » Et Camille Emmanuelle ajoute : « C’est aussi une série regardée par un public mixte, et cela lui confère un plus grand impact. C’est important, car je ne pense pas qu’il faille convaincre beaucoup de femmes de la nécessité de se battre pour nos droits. » Le nouveau mantra de cette armée rouge féministe ? La citation, dérivée du latin, que découvre Defred dans sa chambre, gravée par l’ancienne occupante : « Nolite te bastardes carborundo­rum » (« Ne laissez pas les bâtards vous broyer »). Un cri de guerre actuel.

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En juin dernier, des femmes habillées en “servante écarlate” manifesten­t devant le Capitole, à Washington, contre la refonte du système de santé voulue par Donald Trump.
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DANS “THE HANDMAID’S TALE”, les “servantes écarlates”, prisonnièr­es parce que fertiles, sont contrainte­s à procréer lors d’un viol ritualisé en présence de l’épouse stérile.

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