Madame Figaro

Décodage on a passé des vacances de rêve !

Coup de bluff, poudre aux yeux ou pur fantasme ? En tout cas, ça marche : les vacances des autres semblent toujours mieux que les nôtres. Rien à voir avec la baraka ou le karma… Ils sont juste meilleurs que nous en “storytelli­ng” ou en gestion des filtres

- PAR VALÉRIE DE SAINT-PIERRE / ILLUSTRATI­ON ANTOINE KRUK

CAS N° 1 : LA LOCATION ÉTAIT HYPERMOCHE

La charmante maisonnett­e à volets rouges sur son immense terrain semé de citronnier­s était exquise sur le site My Sicilian Villa. De ses fenêtres, on devait voir la mer. Bref, on imaginait quinze jours de frugalité heureuse, ponctuée de céramiques de Simone – le maître vintage local -, belles comme des Picasso…

L’ÉPREUVE DES FAITS. On ne sait pas si des assistants, formés par « MilK Decoration », étaient sur place le jour des photos, mais on ne reconnaît les lieux que vaguement. Certes, il y a des volets rouges et des citronnier­s. Pour le reste, tous les sièges sont en plastique blanc, et seul le parasol Heineken est vintage. Quant à la mer, c’est vrai qu’on la voit... mais uniquement en survolant des yeux un magnifique lotissemen­t hérissé de paraboles.

LE TOUR DE PASSE-PASSE. Il va falloir tenir son rang sur les réseaux sociaux. Comment, avec un matériel de base aussi décevant ? C’est très simple : on zoome. Sur trois citrons posés sur une pierre plate, à côté d’une coupelle acquise par nous le jour même. Sur notre caftan en lin beige et blanc accroché à un olivier. Sur un cactus géant parfaiteme­nt graphique… Du symbole enrobé de mantras « feel good », on est tombé sur un lieu magique et poétique. La même technique de pro, au fond, que les aigrefins du site. Et une vraie leçon de vie bien utile, cette idée du zoom, d’ailleurs !

CAS N ° 2 : IL SOUFFLAIT UN VENT FORCE 8 SUR CETTE MAUDITE PLAGE

Au terme d’une heure de 4 x 4 sur une piste chaotique, on est censé arriver sur un spot sublime. Des à-pics sauvages tombant dans la mer, des flots turquoise écumants et vierges, un des rares coins à surf des Cyclades, bref, un endroit pour nous, loin des transats payants et des scooters des mers ! L’ÉPREUVE DES FAITS. On ne nous a pas menti pour la piste défoncée – on a sans doute fusillé la voiture de location, d’ailleurs. Ni pour les flots turquoise écumants et vierges. S’ils le sont, vierges, on comprend assez vite pourquoi ! D’abord, ils font peur. Ensuite, on ne tient pas une seconde sur leurs bords, giflés par les bourrasque­s de sable. Le coup du spot de surf « unique » aurait dû nous mettre la puce à l’oreille, en fait…

LE TOUR DE PASSE-PASSE. Un pschitt de Clarendon pour doper le grand bleu sur l’Insta, un focus sur le combi VW des deux surfeurs égarés là (ils ont sans doute lu le même blog que nous !), voilà pour les visuels. Quant au récit officiel des dîners de la rentrée, c’est facile aussi : on coupe le vent, on garde les couleurs, la solitude et la réelle sublimité sauvage du lieu… Et surtout, on ne raconte pas sa belle histoire gypset en présence des ados (qui pourraient faire des commentair­es « no filter » gênants).

CAS N° 3 : LES ENFANTS DE NOS AMIS NE SONT PAS NOS AMIS

Le fantasme. On vivrait en tribu cool, les grands comme les petits, dans une joyeuse ambiance d’apéros interminab­les. Point de jeune fille pour gérer les marmots, on serait bien assez pour leur jeter un oeil bienveilla­nt mais distrait. C’est d’ailleurs pour vivre enfin cette utopie intergénér­ationnelle que l’on a réservé à quatre couples, dès janvier dernier, une immense baraque en Corse du Sud…

L’ÉPREUVE DES FAITS. La communauté bobo vire rapido à la colo. Ce n’est pas tout à fait pareil. C’est décevant, mais, finalement, les jeunes enfants en groupe ne s’organisent pas spontanéme­nt en micro-société autonome. Il faut les occuper tout le temps pour éviter les échauffour­ées. Les apéros sont effectivem­ent interminab­les, grâce à leur présence bruyante. Et les monos sont irascibles car fatigués. En outre, ils ne sont pas toujours d’accord – par exemple, sur l’usage de la tablette comme muselière efficace… LE TOUR DE PASSE-PASSE. Transforme­r ce petit enfer domestique en récit héroïco-comique est la seule solution. D’abord, parce qu’on veut revoir ses amis dans la vraie vie, un jour. Ensuite, parce qu’on a tellement d’humour, n’est-ce pas ? Enfin, parce que tout est une question de point de vue. Une galère ? Non, une formidable expérience. Épanouissa­nte. Enrichissa­nte. Exaltante, en fait. Relisez un manuel de parentalit­é positive avant, s’il le faut…

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