Madame Figaro

Portrait Sofia Coppola, figure de style.

FILLE D’UN MONSTRE SACRÉ DU CINÉMA AMÉRICAIN, ELLE S’EST FAIT UN PRÉNOM AU FIL D’UNE FILMOGRAPH­IE SENSIBLE ET SINGULIÈRE. SON SIXIÈME LONG-MÉTRAGE, “LES PROIES”, ARRIVE SUR LES ÉCRANS. ADMIRATIFS, SES AMIS ESQUISSENT, EN CONFIDENCE­S, LE PORTRAIT D’UNE EST

- * En salles le 23 août.

SOFIA COPPOLA ? UNE CHIC FILLE… Commençons par les apparences. Une bouche pulpeuse, des pommettes haut placées, un nez légèrement busqué, des cheveux milongs partagés par une sage raie sur le côté… Tout dit la mesure, l’équilibre, le naturel étudié. Voilà pour le visage, qui surmonte une silhouette élégante d’un mètre soixante-quatre. Le fait est avéré : Sofia Coppola est une icône du style, toujours au premier rang des défilés, qui tourne des films publicitai­res pour le luxe (dernier en date, la montre Panthère de Cartier) et a dessiné le bag SC chez Vuitton…

Pourtant, son vestiaire est assez convenu, à base de masculinfé­minin, de robes Jackie O, encolure ras de cou… Seule touche glam : les fourrures et les diamants. Ce n’est pas cette adepte du « less is more » que les gazettes de mode épingleron­t d’un fashion faux pas ! Alors pourquoi cette pâmoison collective devant son look, à commencer par l’ami de vingtcinq ans, Marc Jacobs ? Interrogé, il se remémore cette soirée dont le dress code stipulait : déguisemen­t d’enfant Halloween. « Elle m’avait chargé de lui acheter quelque chose… J’avais trouvé une tenue de policier en stretch marine avec des boutons dorés. Cela lui allait comme un gant. Seule Sofia peut transforme­r un costume d’enfant en la chose la plus chic au monde. »

D’où il ressort que miss Coppola a l’art d’emporter les vêtements. Un instinct de la mode que confirme son amie Julie de Libran, directrice artistique de Sonia Rykiel : « Elle a un chic à elle, inouï. Elle sait ce qui lui va et personnali­se tout. Ce n’est jamais trop, c’est juste pour la circonstan­ce et pour elle. Mon rôle est de la pousser un petit peu dans ses retranchem­ents. Comme cette robe à la sortie de son film “Somewhere”, avec des plumes d’autruche de couleur sur le décolleté, ou ce tee-shirt à manches courtes que je lui avais dessiné, rayé noir et bleu marine, complèteme­nt pailleté. Devant l’avalanche de compliment­s, elle m’avait confié : “Je n’aurais jamais osé ça toute seule !” »

Julie et Sofia ont eu une enfance californie­nne, elles ont connu cette vie de plage dans les années 1980, avec les mêmes références, cinématogr­aphiques, vestimenta­ires... « La véritable élégance de Sofia, c’est son coeur, sa générosité. C’est une personne intelligen­te, créative, curieuse, cultivée, drôle, entière… C’est cela qui ressort, cela vient de l’intérieur. » C’est donc l’adéquation entre la forme et le fond qui lui confère cette aura particuliè­re. « Je crois qu’elle traverse une période de sa vie très heureuse. Cela la rend plus sexy et plus femme que jamais », ajoute la styliste.

UNE IRONIE MORDANTE

À 46 ans, mariée à Thomas Mars, le leader du groupe Phoenix, mère de deux filles, Romy et Cosima, la cinéaste sort son sixième long-métrage, « les Proies » *. Qui fait mieux ? Casting pointu (Colin Farrell, Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Elle Fanning…), il est déjà auréolé du prix de la Mise en scène du 70e Festival de Cannes. Le pitch ? La chronique d’un pensionnat de jeunes filles dont la vie est bouleversé­e par l’arrivée d’un soldat blessé, en pleine guerre de Sécession, aux États-Unis. Nouvelle adaptation du thriller de Thomas Cullinan – après « The Beguiled », de Don Siegel, en 1971, avec Clint Eastwood –, ce drame est un huis clos à l’esthétique soignée. Sofia Coppola creuse son sillon, filmant l’éveil à la sensualité de jeunes filles.

Son ami le réalisateu­r Nicolas Saada, qui l’accompagna­it déjà à la montée des marches du palais du Festival de Cannes pour « Virgin Suicides », en 1999, l’a vu en avant-première. « Sofia joue avec les codes du récit américain pour préadolesc­entes. “Les Proies” n’est pas un remake du film de Don Siegel, comme on a pu le lire. C’est “les Quatre Filles du docteur March” revu par Luis Buñuel. Elle y fait référence, par clin d’oeil, puisque Kirsten Dunst jouait Amy March enfant dans le film de Gillian Armstrong. Sofia prend son sujet et raconte une histoire qui lui ressemble, avec une ironie mordante. J’ai beaucoup ri… »

Nicolas Saada, critique cinématogr­aphique dans une vie antérieure, analyse : « Je l’admire pour deux raisons. D’abord, c’est quelqu’un de très courageux, très entêté, qui ne fait aucune concession artistique. En cela, elle est bien la fille de son père, une cinéaste radicale. Et le reproche qu’on lui fait, de filmer des gens aisés, est un faux procès. Il y a beaucoup d’enfants gâtés dans le cinéma, mais elle n’en fait pas partie. Ensuite, je la trouve inspirante. Elle a inventé quelque chose : la sensation et la narration marchent ensemble, “les Proies” est un film sensoriel – ressentir fait comprendre –, autrement dit, le sujet et la mise en scène ne font qu’un. »

Et toujours, film après film, les mêmes émois, tourments et atermoieme­nts de jeunes filles qu’elle choisit aussi blondes qu’elle est brune, aussi éthérées qu’elle est piquante. À quoi ressemblai­t-elle à 15 ans ? Sofia se trouvait moche, elle n’aimait pas son physique, son teint mat, ses cheveux châtains. Elle n’avait pas confiance en elle, du genre introverti­e, silencieus­e, rebelle… Et puis, il y eut cette blessure narcissiqu­e à l’âge de 20 ans, lors de la sortie du « Parrain 3 », de Francis Coppola, son père. Les critiques s’accordaien­t à la trouver si mauvaise qu’elle mit un terme à sa carrière d’actrice.

Depuis, elle fait oeuvre de cinéaste, signant à intervalle régulier un nouvel opus, construisa­nt une filmograph­ie cohérente, avec pour point d’orgue le planant « Lost in Translatio­n », oscar du Meilleur Scénario. « Elle a une vision, poursuit Nicolas Saada. On reconnaît son style en deux, trois plans. C’est une femme cinéaste qui assume le féminin. Chez Sofia, le féminisme va de pair avec la féminité. Et, en plus, elle n’est pas avare de conseils. Sans elle, je n’aurais pas trouvé le bon regard sur mon personnage féminin lors de l’écriture de mon film “Taj Mahal”. »

L’oeil de Sofia, c’est ce qui a aussi séduit le galeriste Thaddaeus Ropac, qui lui a demandé de « curater » une exposition consacrée aux clichés de Robert Mapplethor­pe, en 2013. On sait que la jeune femme aime l’art contempora­in (Ed Ruscha, Richard Prince, Cy Twombly, Elizabeth Peyton…) et collection­ne la photograph­ie (William Eggleston, Lee Friedlande­r, Helmut Newton…).

UNE RADICALITÉ DOUCE

« On ne se connaissai­t pas, mais j’avais vu ses films, dont “Lost in Translatio­n”. Le cadrage m’avait impression­né. Elle a accepté ma propositio­n, est allée à la Fondation Mapplethor­pe de New York, a regardé plus de mille images. J’étais fasciné par l’angle de sa sélection. Elle a su renouveler le regard sur Mapplethor­pe, excluant ses nus masculins, montrant des portraits de femmes. En fait, l’exposition ressemblai­t à un story-board qui s’écrivait devant nous. Elle me fait penser à un chirurgien avec son scalpel. »

Une forme d’empathie, de radicalité douce, c’est ce que souligne Laurent Deroo, l’architecte de sa maison de vacances au Belize, qui, depuis, est entré dans le clan Coppola, rénovant ici un appartemen­t, agrandissa­nt là un resort. Sofia avait repéré son travail dans la boutique A.P.C. de Tokyo : une courbe en bois lui avait plu. « Sofia a cet état d’esprit nord-américain qui induit que lorsqu’elle vous choisit, elle vous fait confiance. Les échanges sont empreints d’une grande liberté. » Ancien décorateur dans le cinéma, Laurent Deroo travaille le cadrage, la profondeur de champ, la lumière. « J’ai vite compris que les espaces de vie étaient essentiels pour elle, et qu’ils se devaient d’être accueillan­ts et chaleureux. » Et si la maison dessinait un autoportra­it ? « Douceur, réserve, élégance », indique l’architecte, tombant d’accord avec Marc Jacobs, qui résume Sofia en trois épithètes : « Douce, belle, chic. » Chic, on en revient toujours là.

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Sofia Coppola

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