Madame Figaro

NEWS/madame/Pierre Bergé, une vie de passions.

Itinéraire d’un homme engagé

- PAR MARION DUPUIS ET ISABELLE GIRARD

Mécène, homme d’affaires, collection­neur… Pierre Bergé, décédé le 8 septembre à l’âge de 86 ans, était surtout une grande figure du milieu de la culture et du luxe français, artisan de la fabuleuse aventure Yves Saint Laurent. Passionné et fidèle à ses conviction­s, il aura marqué notre époque et renversé les tabous. Portrait d’un géant.

L’HOMME DERRIÈRE SAINT LAURENT

Pierre Bergé et Yves Saint Laurent ? « Une des plus grandes histoires d’amour du XXe siècle », affirmait le réalisateu­r Jalil Lespert, qui en fait un film, « Yves Saint Laurent », sorti en 2014. Mais aussi l’une des plus grandes réussites du luxe français avec l’ouverture, en 1961, de la prestigieu­se maison de couture, avec Yves Saint Laurent

aux commandes de la création et Pierre Bergé aux manettes des finances, de la gestion et du cadre de la griffe naissante. Avec le talent du premier et le diabolique sens des affaires du second, la maison connaîtra une gloire fulgurante dès ses débuts. Et Yves Saint Laurent deviendra du jour au lendemain le « petit prince de la couture», faisant entrer cette dernière dans la modernité du prêt-à-porter de luxe », écrit Florence Muller dans son « Fashion Game Book ». La légende s’installe, les images déferlent : la collection Mondrian, le smoking, la saharienne, le défilé 40, qui fait scandale, la palette de couleurs inattendue­s et violentes, les inspiratio­ns d’ailleurs, la sublime collection Opéra-Ballets Russes, le lancement de Saint LaurentRiv­e Gauche dans une petite boutique de la rue de Tournon… et la grande rétrospect­ive de trois cents créations en janvier 2002… Tout cela aurait-il été possible sans Pierre Bergé ? Pour les 57 ans de ce dernier, Yves Saint Laurent lui avait griffonné quelques mots : « Sans toi, je ne serais peut-être pas celui que je suis. Sans moi, je ne l’espère pas, mais je le pense, tu ne serais pas ce que tu es. Ce grand aigle à deux têtes qui cingle les mers, dépasse les frontières, envahit le monde, de son envergure sans pareille. C’est nous. Et quand je dis nous, je pense avant tout, c’est toi. »

UN AMOUREUX DES ARTS

Avant sa rencontre avec Yves Saint Laurent, il fut le mentor et le compagnon du peintre Bernard Buffet. Autre passion : la littératur­e, que ce fils d’une mère institutri­ce et d’un père fonctionna­ire des finances découvre avec « David Copperfiel­d », de Charles Dickens. Plus tard, il adulera Flaubert, lira toute l’oeuvre de Julien Freund, se liera d’amitié avec Jean Giono, se plongera dans Stendhal, Bellow, Roth, Céline et Genet... De 1977 à 1981, il dirigera le théâtre de l’Athénée, puis, de 1988 à 1993, présidera l’Opéra de Paris. En 2001, il sera nommé grand mécène des Arts et de la Culture. Ce collection­neur féru du XXe siècle dispersera aussi, en 2009, les tableaux et les meubles acquis avec Yves Saint Laurent dans ce qui restera la « vente du siècle ».

UN PATRON DE PRESSE

Il n’a pas voulu passer son bac. Son professeur de français et de latin lui avait dit : « Mais Pierre, comment allez-vous devenir écrivain ou journalist­e si vous n’êtes pas bachelier? » S’il devait avoir un regret, ce serait celui de n’avoir jamais pu dire à ce dernier : « Vous voyez, monsieur, je n’ai pas mon bac, mais je viens d’acheter “le Monde”. » Avant le rachat du quotidien, Pierre Bergé aura aussi lancé le magazine « Globe », qui soutenait la candidatur­e de François Mitterrand, financé « Courrier internatio­nal », puis le magazine « Têtu », dont il restera le propriétai­re jusqu’en janvier 2013.

UNE FIGURE ENGAGÉE

Le journal «Women’s Wear Daily» l’appelait

« le Pittbull de la mode française ». Enfant, il était déjà impatient, impétueux, ambitieux, colérique et se voyait même à la tête d’un royaume. Pourtant il n’a jamais fait de politique ! Il s’est engagé autrement. En 1980, en épousant le combat de SOS Racisme et, à la même époque, alors que le sida fait des ravages, en étant l’un des premiers à se mobiliser contre la maladie. Dès 1986, il n’hésite pas à s’attaquer au tabou, décide d’installer des préservati­fs dans les toilettes de la maison Yves Saint Laurent. En 1996, il prend la présidence, aux côtés de Line Renaud, d’Ensemble contre le sida, qui deviendra le Sidaction. Il soutiendra aussi Act Up. « Soyons très précis, explique-t-il. L’homosexual­ité, c’est comme être gaucher, une minorité qu’on essaie de contrarier. Il ne faut pas en faire une unité de valeur, pas plus qu’un sujet d’opprobre et de dégoût. » S’ensuit un combat de vingt ans qui rassemble chercheurs, artistes, créateurs, unis contre le dernier fléau du XXe siècle, et dont l’action a permis de lever, depuis la création du Sidaction près de 300 millions d’euros alloués à la recherche.

UN COMPLICE DE FRANÇOIS MITTERRAND

En 1981, l’arrivée des socialiste­s au pouvoir ne lui plaît pas plus que ça, mais la gauche a besoin de patrons. Pierre Bergé se trouve alors un nouveau rôle : celui de « patron de gauche ». Avant de se rapprocher de François Mitterrand, Pierre Bergé commence par séduire la première dame en la conviant aux défilés Yves Saint Laurent. En 1988, à Strasbourg, après un meeting préélector­al à la campagne présidenti­elle, Pierre Bergé et François Mitterrand se découvrent enfin et… se comprennen­t.

Ils ont tous les deux des origines charentais­es, ils aiment la poésie. De ce jour s’instaure une véritable complicité entre ces hommes qui tous deux rêvaient d’être écrivain.

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