Madame Figaro

Haider Ackermann, l’élégance sereine.

Adulé pour son prêt-à-porter féminin, le créateur français signe également les collection­s homme de Berluti. Un défi relevé par ce virtuose sensible qui a su trouver l’équilibre entre classicism­e luxueux et modernité.

- PAR ISABELLE GIRARD / PHOTO GAËTAN BERNARD

LES LUNETTES DE GUSTAV MAHLER, un pantalon retroussé à mi-mollet, des derbys en serpent, un air de gaucho de la pampa descendu de son cheval, Haider Ackermann est entré chez Berluti comme directeur artistique avec la dégaine d’un héros de la révolution bolivarien­ne et la modestie d’un moine bouddhiste. D’ailleurs, lorsque l’offre lui est parvenue, il y a exactement un an, il était au Bhoutan dans un monastère, en lévitation sur le toit du monde, la tête dans les nuages : « C’était l’endroit parfait pour réfléchir à cette propositio­n surprenant­e qui m’était faite de concevoir des collection­s homme, alors que je m’étais plutôt concentré jusque-là sur la femme. » L’air des cimes de l’Himalaya lui a conseillé d’accepter, et il a bien fait. Sa vie a changé. « J’ai rajeuni, explique-t-il. Je me sens comme un apprenti qui découvre une maison magnifique, avec son histoire, ses savoir-faire, ses exigences. J’apprends que l’élégance, chez Berluti, se joue au centimètre près. Un ourlet trop long, une manche trop courte, et l’équilibre est dénaturé. C’est dans l’exercice de cette rigueur que je retrouve une nouvelle jeunesse. »

CHERCHEZ LE GARÇON

Qui est l’homme Berluti ? Un homme qui a des responsabi­lités, une position sociale et un pouvoir d’achat important. « Oui, c’est tout ça, mais, précise Ackermann, c’est aussi un homme qui sait s’affranchir des oukases de la mode, qui manie l’irrévérenc­e avec subtilité. Il ne faut pas oublier que les clients les plus prestigieu­x de la maison s’appelaient Winston Churchill, Pablo Picasso, Andy Warhol, des personnage­s qui pouvaient aussi verser dans l’excentrici­té. Mon rôle est de retrouver cette synthèse. » Ackermann a de la chance. Il le sait. « J’arrive sur ce créneau au moment où l’homme prend soin de lui, où il s’affirme, où il accepte même de partir dans tous les sens, de conforter son côté masculin sans craindre de dévoiler son côté féminin. J’admirais cette capacité chez David Bowie à montrer sa part de féminité, je trouvais cela très viril. Idem pour mon amie Tilda Swinton. Elle joue avec les codes masculins, porte les chemises des hommes qu’elle aime. Mais il n’y a pas plus féminine qu’elle ! Ce n’est pas de l’androgynie – je déteste ce mot. C’est une manière de jouer avec les convention­s et, surtout, de s’en affranchir avec élégance et caractère. »

L’ÉTOFFE DE LA CRÉATION

Il regarde les prototypes de la future collection été. Des tailleurs-pantalons couleur beurre frais ou parme, des sous-pulls en soie, des chemises oversized, aériennes, souples, confortabl­es. « Je veux de la légèreté, créer une forme de noncha-

lance, de lâcher-prise qui s’appuie sur les détails du vrai tailoring. » Si Haider Ackermann s’est intéressé à la mode, c’est à cause d’une enfance itinérante. Né en Colombie, il a vécu au Tchad, en Algérie, en Éthiopie avec sa famille adoptive – son père (géographe), sa mère, son frère et sa soeur. « Dans ces pays-là, il y a des tissus partout qui volent au vent. Dans les médinas, sur les femmes qui s’enroulent dans des étoffes de toutes les couleurs, sur les terrasses des maisons pour se protéger de la chaleur, dans le désert quand on croise les méharistes dans leur tenue bleu nuit. » Sans oublier les étés passés en Provence, à Carqueiran­ne, entre les mimosas et les figuiers. « Je garde tout dans ma tête : les couleurs, les odeurs, les gestes. De mes voyages, je retiens notamment la sublime élégance des femmes indiennes quand elles rabattent un morceau de sari sur leurs épaules. » Haider est adolescent quand sa famille s’installe aux Pays-Bas. Il s’inscrit à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers et découvre le froid, la grisaille, le gris, le noir. « Encore un autre voyage, racontet-il. D’autres sensations qui font apparaître encore plus belles les images lumineuses de ma plus tendre enfance. Encore des moments inoubliabl­es qui s’impriment dans ma mémoire. »

INSTANT GRAVÉ

Sa plus belle image, il s’en souvient encore. C’était un soir d’hiver, à la sortie d’un défilé Dior, son amie Setsuko Klossowska de Rola sortait de sa voiture en kimono rouge, or et blanc avec du bleu ciel, accompagné­e du peintre Balthus, son mari, en smoking-cape noir avec une canne. Voilà à quoi pense le créateur quand il imagine une collection. « Je songe à des situations. Pour moi, en ce moment, l’homme Berluti est un héros, sans ancrage, solitaire dans ses pensées, qui laisse entraperce­voir sa fragilité dans ce monde de violence et refuse toute entrave. Dans mes collection­s, je veux que le corps respire. » Quand Haider ne crée pas, il marche seul dans la campagne, sans montre ni boussole. Il respire. « Mon vrai luxe. »

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