MORGAN SPORTÈS Puissances divines
L’HOMME EST UN LOUP POUR L’HOMME, tel est le credo de Morgan Sportès, dont il ne démord jamais. On l’a vu avec « l’Appât » et plus encore avec le terrible « Tout, tout de suite ». En voici, une fois encore, la brillante démonstration avec ce nouvel opus qui conte par le menu la résistance acharnée des Japonais face aux tentatives d’évangélisation auxquelles ils furent exposés. Nous sommes dans les années trente du dix-septième siècle, mais cela pourrait aussi bien se passer aujourd’hui, tant les vilenies et les enjeux sont les mêmes. Au nom de la Religion avec un grand R, les hommes courent après le même pouvoir, ont les mêmes désirs d’annexion de territoires et de richesses, et, même si celuici a divers noms et se voit servir divers cultes, adorent le même dieu : l’Argent. Ainsi, en ces temps reculés, dans un pays qui n’a rien demandé, plusieurs christianismes se font la guerre, déversant en terre inconnue leurs débats et leur colère. Les Hollandais et les Anglais, protestants, les Espagnols, impérialistes et colonialistes avant l’heure, et les jésuites, dont les desseins sont plus politiques en vérité que théologiques. En face, les shoguns, cruels et dépassés – mais qui déploient des trésors d’imagination lorsqu’il s’agit de faire renier leur foi aux prisonniers –, des hordes de soldats perdus et quelques pères défroqués. Ainsi le jésuite Christovao Ferreira, moine apostat qui choisit de collaborer avec l’inquisition nipponne plutôt que de mourir en martyr pour un Dieu qu’il a depuis longtemps cessé de respecter. Construit comme un requiem, à la fois récit historique, fresque politique et thriller sociétal, écrit avec humour et une irrévérence absolument jubilatoire, le roman que Morgan Sportès nous livre est essentiel à l’heure où Dieu est un prétexte pour servir les plus vils intérêts. V. G.