Madame Figaro

Pause philo : Jonathan Chauveau-Friggiati.

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La jeunesse est peut-être l’attribut éternel de ceux qui confondent l’acte d’aimer avec le fait de désirer quelqu’un. La nature humaine étant bonne, penset-on alors, nos instincts le sont aussi, forcément. Il suffira donc de se laisser glisser le long de la pente de ses inclinatio­ns les plus naturelles pour « tomber » de soi-même sur ce trésor enfoui nulle part, mais affleurant partout, que l’Occident a nommé Amour.

En grandissan­t, cependant, il arrive parfois que certains d’entre nous se mettent à distinguer l’amour du désir, c’est-à-dire à ne plus prendre ses envies personnell­es pour la réalité d’un sentiment amoureux. Nos souhaits du moment ne dépendant finalement que de nous, faire reposer sur eux la réussite d’une relation amoureuse apparaît bien trop risqué. L’amour, découvre-t-on à cette occasion, n’était pas une chose que l’on porte en soi, mais une passion, de la passion, cette « matière » magique qui attache des êtres les uns aux autres en les collant, littéralem­ent, ensemble.

Or quel enseigneme­nt délivre cette matière passionnel­le ? Eh bien, que l’amour n’est pas de l’ordre de ce qui attire le plus, mais de ce qui demande, au contraire, un minimum de retenue. Qu’il n’est pas ce qui se profile à l’horizon de nos projection­s imaginaire­s, mais ce qui, ici et maintenant, exige de soi une discipline physique et mentale. Que la Carte du Tendre n’est pas un jardin à la française de plaisirs en liberté, mais plutôt, si on le décidait, une jungle équatorial­e de sentiments où seuls survivent ceux qui arrivent à contrôler leurs émotions.

Fort heureuseme­nt, le temps passant pour tout le monde, le royaume anarchique de la passion, comme avant lui la loi inexorable du désir, finira un jour par relâcher son emprise. Ce qui aura pour effet de faire émerger l’écueil de la question ultime : la relation amoureuse, pour être complète, ne doit-elle pas aussi nous engager dans un certain type de rapport à la sagesse, à la quiétude, au bonheur ? N’existe-t-il pas en effet, par-delà désir et passion, quête et combat, stratégie et maîtrise, cette autre manière de fréquenter l’autre que l’on appelle galamment les « rapports intimes » ? L’intimité… ou la propension partagée par deux personnes à situer le lieu où ils s’aiment dans l’Écart Absolu qui, en les séparant irrémédiab­lement, les oblige à s’adresser sans faux-semblants l’un à l’autre, c’est-à-dire en tant que sujets distants, insaisissa­bles, énigmatiqu­es et, pour ces mêmes raisons, totalement réjouissan­ts. L’amour, depuis le début, se tapissait là. Dans ces gouffres abyssaux que tout couple ne peut manquer de former mais qui, parce qu’ils sont sans fond, arrivent parfois à le satisfaire à tout jamais.

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