Madame Figaro

vis ma vie à l’Assemblée.

ELLES SE SONT LANCÉ UN DÉFI, SONT ENTRÉES EN POLITIQUE ET ONT ÉTÉ ÉLUES DÉPUTÉES LA RÉPUBLIQUE EN MARCHE ! DANS LEUR QUOTIDIEN, LE CHANGEMENT, C’EST TOUT DE SUITE. ÉTAT DES LIEUX JUSTE AVANT LA RENTRÉE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE, LUNDI 2 OCTOBRE.

- PAR ISABELLE GIRARD

I «LY A EU L’APPEL DU 27 JANVIER 2017, se souvient Brigitte Liso, aujourd’hui députée La République En Marche ! (4e circonscri­ption du Nord), ce jour où Emmanuel Macron, sur sa page Facebook, demandait aux femmes de se présenter aux élections législativ­es. “Réveillez-vous !” nous disait-il. Nous l’avons pris au mot. » Était-ce comme l’Appel du 18 juin, lancé par le général de Gaule depuis Londres en 1940 ? « Le parallèle est audacieux. Mais c’est ainsi que je l’ai entendu. J’ai compris qu’on avait besoin de nous pour changer la société. Quand je vois, aujourd’hui, l’image qu’offre l’Assemblée nationale, colorée, bariolée, diverse, j’ai l’impression d’avoir la France en face de moi. Rien que pour cette vision, ça valait le coup d’y aller. »

Dans son bureau de l’Assemblée nationale, à Paris, Brigitte Liso, qui fut tour à tour commercial­e pour Pernod Ricard, secrétaire médicale, créatrice d’Éclairs émois, une entreprise de pâtisserie­s spécialisé­e dans les éclairs, n’en revient toujours pas qu’on l’appelle madame la députée. « Quand j’entre dans l’Hémicycle, je me pince. »

« Elle peut ! commente le sociologue François de Singly (1). Imaginez la tête des brisquards de la politique, qui, pour la plupart, font carrière depuis trente ans et voient arriver une bande de novices qui ont, pour certains, barré la route à de vieux profession­nels. Oui, il y a vraiment de quoi s’étrangler. » Philippe Goujon en a fait les frais. Baron de la 12e circonscri­ption de Paris, maire du XVe, proche de Jacques Chirac, intime d’Édouard Balladur, il a été battu par Olivia Grégoire – une inconnue, patronne de sa propre agence de communicat­ion – dont il ne cessait de dire : « Elle vient d’on ne sait où, elle n’a pas de conviction­s. » Elle a pourtant été élue avec 56,4 % des voix… Toutes ces femmes qui ont répondu à l’appel de janvier 2017 l’ont fait avec l’enthousias­me des néophytes et l’audace des conquérant­s d’un nouveau monde. Sans se poser de questions, elles ont pris le maquis et savourent aujourd’hui leurs premières victoires. Les 224 femmes élues à l’Assemblée nationale sont issues de la société civile, avec des formations et des origines totalement différente­s. « Du jamais-vu, non ? Et vous me demandez si ça valait le coup de changer de vie ? » s’exclame avec ivresse Annie Chapelier (4e circonscri­ption du Gard), aujourd’hui membre de la commission des affaires étrangères. « Bien sûr que ça valait la peine de prendre ce risque. Ma vie a changé du tout au tout, et je ne regrette rien. » Il y a quatre mois, elle était infirmière anesthésis­te et revenait d’une mission pour MSF au Congo, dans le Kivu. Aujourd’hui, la voici à l’Assemblée nationale, dans un bureau plein de dossiers. « C’est un pari, pour moi comme pour ceux qui m’ont élue. Je ne connais pas grand-chose à ces histoires. Mais je vais apprendre. »

Comment expliquer tant de ferveur ? Selon François de Singly, « toutes ces femmes ont entendu l’appel – comme elles le disent –, parce que, pour elles, c’était le bon moment. Il y a eu une rencontre entre un homme, Emmanuel Macron, une parole nouvelle, une force de persuasion, mais, aussi, il y a eu chez ces femmes une disponibil­ité personnell­e ». Comme Naïma Moutchou, aujourd’hui membre de la commission des lois, avocate de 37 ans spécialist­e du droit de la presse, qui a travaillé dix ans chez le bâtonnier Christian Charrière-Bournazel. « Lorsque j’ai entendu Macron dire qu’il voulait abolir les clivages droite-gauche, faire appel aux compétence­s de la société civile, je me suis dit que quelque chose allait changer, que c’était pour moi le moment d’agir pour la France et que je me devais de participer à cette aventure. » « Et quelle aventure ! » reprend Yaël Braun-Pivet (5e circonscri­ption des Yvelines), 46 ans, présidente de la commission des lois. « C’était mon tour. J’ai d’abord exercé mon métier d’avocate, puis j’ai élevé mes cinq enfants, je suis partie à l’étranger avec mon mari, je suis revenue pour soutenir les plus démunis au sein des Restos du Coeur, aujourd’hui je m’engage en politique et demain…, je ne sais pas. » Elle se souvient avec émotion du jour où elle a dit au revoir à ses équipes de bénévoles avant de rejoindre la place Beauvau pour une réception. « Les larmes aux yeux, j’ai quitté Sartrouvil­le sur une moto-taxi pour arriver sous les ors de la République. J’ai ressenti ce trajet comme un voyage initiatiqu­e. »

Alors, changer de vie, s’engager en politique, pourquoi ? Elles le disent toutes : pour être utiles, par défi et par désir de participer à l’élaboratio­n d’une société nouvelle.

« L’utilité, par opposition à la frime, aux honneurs que confère le pouvoir, à la volonté de faire carrière, aux voitures à gyrophare, commente François de Singly. Ces femmes ne sont pas forcément ambitieuse­s, ne veulent pas reproduire le modèle de ces hommes politiques qui, le matin en se regardant dans la glace, pensent qu’un jour ils seront président. Elles ne réfléchiss­ent pas au coup d’après. Elles sont dans l’instant présent pour agir vite. » Avec la fin du cumul des mandats, l’interdicti­on de faire travailler des membres de sa famille, la moralisati­on de la vie politique, « nous avons eu d’un coup le sentiment que nous avions remplacé un vieux Parlement poussié- reux empli de notables qui ont fait de la politique une carrière », poursuit Annie Chapelier. « Ce que je veux, c’est être efficace. Les honneurs, je m’en fiche. La carrière, aussi. Dans cinq ans, je reprends mon métier. Je ne peux pas vivre sans l’exercer. D’ici là, j’espère que j’aurais fait avancer le statut des infirmière­s, réfléchi à la question des déserts médicaux ; et chez moi, dans ma circonscri­ption, trouvé des moyens de protéger le vin français face au vin espagnol. » François de Singly souligne : « C’est cela qui est nouveau : ces femmes qui deviennent députées pour un temps. » Ce que l’historien Jean-François Sirinelli (lire entretien ci-dessous) appelle les « intermitte­nts de la politique ».

Le goût du défi, ensuite. Il était important de montrer que les femmes non sorties du sérail étaient capables autant que les hommes de faire de la politique. Patricia Mirallès (1re circonscri­ption de l’Hérault), membre de la commission de la défense nationale et des forces armées, ancienne footballeu­se, ancienne esthéticie­nne, propriétai­re d’une parfumerie, fille de rapatriés d’Algérie, n’a pas son bac. « De moi, on disait que j’avais le physique d’une fille qui sort en boîte de nuit. » Un jour, elle a pris la parole à l’Assemblée

et a entendu : « On n’est pas au souk, ici ». Sira Sylla (4e circonscri­ption de Seine-Maritime), d’origine sénégalais­e, avec une mère au foyer, un père chauffeur de bus, onze frères et soeurs, qui a travaillé dans un fast-food pour payer ses études, s’est, elle, entendu dire qu’elle ne serait jamais élue car elle était noire. « En 1991 quand j’étais en CM2, j’ai rencontré Laurent Fabius à l’Assemblée nationale, et aujourd’hui me voici dans l’Hémicycle. N’est-ce pas fantastiqu­e ? ». Comment, sans formation particuliè­re, ces femmes vont-elles réussir à légiférer ? « Elles n’ont pas toutes à avoir une formation juridique. Ce qu’on leur demande c’est d’avoir vu le monde, d’avoir compris la réalité. Jusque-là, nos députés en étaient plutôt déconnecté­s », estime François de Singly.

Enfin, ces nouvelles députées incarnent la volonté de porter le renouveau. La principale mission qu’elles se fixent est de faire adopter au plus vite les textes impulsés par l’exécutif. Leur action se caractéris­e par trois mots-clés : rapidité, efficacité et pragmatism­e. « L’opposition nous critique de voter en masse les amendement­s. Mais c’est par simple logique. Notre adhésion était volontaire. On a voté ce qui a été prévu. » Et d’un négligent revers de la main, elles passent sur tous les « couacs » énumérés par leurs opposants. « Ça encore, c’était de la discrimina­tion de classe. On a buggé sur des questions de forme, pas de fond. C’est comme si on jugeait quelqu’un sur le fait qu’il n’a pas pris les bons couverts pour manger son poisson. Ce sont des codes de bonne conduite. Ça s’apprend », remarque Patricia Mirallès, qui, tout l’été, a potassé ses dossiers sur le rôle de la France dans le Pacifique ou sur l’avenir de l’îlot Clipperton, possession française perdue au large du Mexique. Le chemin a été long. Il y a eu la bataille de l’investitur­e à mener, puis celle de la campagne, avant deux tours d’élection présidenti­elle, puis deux autres tours de législativ­es. Jusqu’à la victoire pour les nouvelles élues de cette XVe législatur­e de la Ve République. Aujourd’hui, elles sont convaincue­s d’avoir fait le bon choix, tout en se rendant compte de la tâche écrasante qui pèse sur leurs épaules. Elles se sentent comme le petit colibri du conte chinois à qui un éléphant demande pourquoi il a les pattes en l’air et qui répond : « On m’a dit que le ciel allait nous tomber sur la tête, alors je l’aide à tenir bon. »

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