Madame Figaro

Kristen Stewart.

“Ma génération est prête à accepter le changement”

- PAR RICHARD GIANORIO / PHOTOS MATTHEW BROOKES / RÉALISATIO­N LEÏLA SMARA

Libre, anti-convention­nelle, jouant volontiers de son ambiguïté, cette actrice magnétique, ex-petite princesse de “Twilight”, est devenue une championne du cinéma d’auteur. Elle est aussi le visage de Gabrielle, le tout nouveau parfum Chanel.

PERSONNE NE POURRAIT IMAGINER CROISER KRISTEN STEWART, INACCESSIB­LE PRINCESSE HOLLYWOODI­ENNE, à Paris, au fin fond de cette impasse du XIe arrondisse­ment populaire. C’est encore l’été, il fait chaud cet après-midi-là, elle suggère de s’installer à la terrasse du bistrot situé en face du studio photo où elle vient de poser pour « Madame Figaro ». On l’en dissuade : elle a pour effet de provoquer des mouvements de foule incontrôla­bles. Elle porte un mini-short, des boots, un tee-shirt échancré, on remarque le tatouage sur l’avant-bras droit, un motif, paraît-il, inspiré de « Guernica », de Picasso. C’est une sorte de Peter Pan moderne, un elfe, un superbe étendard en faveur de l’androgynie. Elle rectifie : l’« ambiguïté ».

On lui fait remarquer à quel point on la trouve gracieuse, avec son fin visage et ses yeux verts remarquabl­es. Elle sourit et baisse la tête : « Gracieuse, ce n’est pas ce que j’ai l’habitude d’entendre. J’ai été cataloguée une fois pour toutes dans la catégorie des frondeuses. » Kristen Stewart, 27 ans, a démarré en trombe à l’âge de 8 ans. Elle se fait connaître dans le monde à 11 ans dans « Panic Room », où elle jouait la fille de Jodie Foster. En 2008, coup de tonnerre quand sort le premier épisode de la série « Twilight ». Son personnage de Bella Swan affole la planète, le film devient un phénomène culturel et commercial ; Kristen Stewart, une idole génération­nelle (elle est alors appelée « K.Stew »), tout comme son compagnon de l’époque, son partenaire Robert Pattinson. La folie médiatique s’abat sur elle, mais la crucifie en 2012, quand elle se sépare de « R.Patz », après des rumeurs d’infidélité­s. Elle a l’intelligen­ce de se réinventer : ce sera « Sils Maria » (2014), du Français Olivier Assayas. Elle y est parfaite et obtient un césar du Meilleur Second Rôle. Depuis, la fille aux yeux d’or n’en finit pas de captiver les metteurs en scène, comme Woody Allen, qui la fait tourner dans « Café Society ». On suit les rebonds d’une carrière non réglementé­e (elle va passer à la réalisatio­n), on commente sa vie privée (la presse spécialisé­e la dit en couple avec la top-modèle Stella Maxwell). Le monde du luxe ne pouvait pas passer à côté de cet oiseau rare : brune, irradiante, talentueus­e et totalement anti-convention­nelle, elle incarne idéalement les standards de la maison Chanel, qui en a fait son égérie privilégié­e. Elle est aujourd’hui le visage du nouveau parfum Chanel, Gabrielle, une sortie événementi­elle, puisque la maison n’a pas lancé de féminin inédit depuis 2002. Confession­s d’une enfant du siècle.

« MADAME FIGARO ». – Auriez-vous imaginé devenir une égérie beauté ?

KRISTEN STEWART. – Pas du tout, c’était même inconcevab­le : enfant, je ne connaissai­s rien de rien ni à la mode ni à la beauté. Je ne viens pas de ce monde et je me considère modestemen­t comme une interprète, une passeuse, une sorte de traductric­e : je suis avant tout concentrée sur mon travail. Les créateurs comme Karl Lagerfeld sont exactement comme les bons metteurs en scène de cinéma : ils vous donnent des clés, vous guident ; à vous d’ouvrir la porte et de vous fondre dans leur univers. Quant à ma beauté supposée, même si je suis à l’aise avec ce que je suis, je ne me focalise jamais sur l’idée que certains pourraient me trouver belle. D’abord parce que la beauté est une donnée totalement subjective, ensuite parce que, si j’écoutais ce genre de louanges, je deviendrai­s complèteme­nt fausse.

Cette conscience-là serait hideuse.

Le clip publicitai­re du parfum Gabrielle a été écrit sur mesure pour vous. Que dit-il de Kristen Stewart ?

On y voit une fille qui se dégage de ses entraves et court vers l’horizon. Voir quelqu’un courir, c’est contagieux ; et puis, courir c’est aussi une expression de liberté, même si on l’a oublié. Plus que le mien, ce mini-film capture l’itinéraire de Gabrielle Chanel, une femme qu’on ne pouvait ni arrêter ni ignorer, une femme qui avançait en dépit des courants contraires. Elle incarne une certaine idée de la rébellion, mais pas seulement : c’était aussi une personne très connectée avec son for intérieur et totalement persuadée que ses conviction­s triomphera­ient – ce qui est arrivé. Elle ressemble à ce qui j’aimerais être, plus qu’à qui je suis.

On souligne fréquemmen­t votre esprit libre. Est-il facile de ne pas se soumettre à une certaine pression sociale quand on est une actrice américaine à succès ?

Cela ne vous aura pas échappé, je suis assez peu versée sur le politiquem­ent correct. Je ne vis que pour la création, c’est là que ma liberté s’exprime le mieux. J’ai une nature compulsive, je suis hyperactiv­e, je ne peux jamais ni m’arrêter ni me reposer. Je suis toujours à cent pour cent dans ce que j’entreprend­s. Quand je commence un tournage, je suis exaltée, je veux honorer l’histoire, la préserver, la magnifier. On plante une petite graine qui pousse et trouve son chemin comme elle peut. Il en est ainsi de la création.

Êtes-vous féministe ? Et pour quelle cause militez-vous ?

Avant de devenir une femme forte, il faut faire ce constat que la force des femmes est différente de celle des hommes. Il est impératif que nous restions des femmes et que nous honorions notre condition. Je crois aussi dans la flexibilit­é, l’ambiguïté. Mon ambiguïté peut perturber les gens, mais je vois bien que les choses évoluent rapidement : ma génération est prête à accepter le changement.

Vous jouez avec cette ambiguïté…

Faut-il être courageux pour devenir ce qu’on est ? Il faut se faire à l’idée que nous sommes tous différents et que tout le monde ne sera pas de votre côté…

Vous ne faites pas un mystère de votre bisexualit­é.

Je n’ai pas peur d’être honnête avec ça. Je ne veux pas que les gens qui sont dans ma situation vivent mal leur sexualité, mais il n’y a ni militantis­me ni fierté particuliè­re de ma part : pour moi, c’est une chose naturelle, et il n’y a aucune raison pour que je la nie.

Vous avez passé la moitié de votre vie sur les plateaux de cinéma. Avez-vous eu le temps d’être une enfant ?

Mon parcours est particulie­r, mais j’ai été une enfant comme les autres : je suis allée à l’école publique, j’ai grandi avec mes trois frères. La seule différence, c’est que je m’échappais occasionne­llement pour faire un film. J’avais une sorte de seconde vie et j’ai fêté mes 11 ans sur le plateau de « Panic Room », de David Fincher. Puis j’ai enquillé les films indépendan­ts avant que n’arrive « Twilight », qui a fait de moi une « star » – un terme qui m’embarrasse. Il n’était pas prévu que la machine s’emballe ; c’était une petite production, personne n’avait mesuré l’impact de cette saga. Brutalemen­t, tout a changé, et ma vie est devenue autre chose. Être actrice, ce n’est pas une activité qu’on peut pratiquer dans son coin, comme peintre ou musicien ; c’est un métier indissocia­ble d’une équipe, d’un environnem­ent, d’une industrie. Donc tout est devenu énorme, et soudain ma vie a été étudiée sous un microscope puis interprété­e par des médias opportunis­tes et avides d’argent. J’ai passé des moments difficiles, il a fallu faire taire le vacarme…

À un moment, vous avez été la victime d’un désaveu médiatique ridiculeme­nt démesuré…

Une folie, une chose absurde et finalement en adéquation avec la ligne convention­nelle de l’époque. Cela m’a heurté, mais cela ne m’a pas mise à terre : j’ai identifié la colère et la méchanceté de certaines personnes que je ne respecte pas. Si cette curée médiatique avait affecté mon travail, j’aurais été dévastée, mais j’ai continué de travailler avec des gens qui m’inspiraien­t. Cela a été une période tourmentée, mais je m’en suis sortie.

Qu’en est-il de votre « côté européen », vous qui avez tourné deux fois avec Olivier Assayas ?

On me le fait souvent remarquer, alors que je me sens très américaine quand je suis ici. Profession­nellement, je travaille avec le même type de personnes aux États-Unis et en France, des gens investis, qui ne sont motivés ni par le succès ni par l’argent. Mais il ne faut pas généralise­r : il existe aussi en France des gens conservate­urs, de la même façon que je connais beaucoup d’Américains à la fibre artistique très affirmée. Quant au césar reçu pour « Sils Maria », cela a été un choc et une grande fierté. Un étonnement, car j’avais l’impression que ma contributi­on était modeste par rapport au film et au rôle de Juliette Binoche, que je voulais servir. Je ne pensais même pas qu’on me remarquera­it. Aux États-Unis, pour décrocher un oscar, une démonstrat­ion de force et une performanc­e lourde sont nécessaire­s. Hélas, je connais assez mal le cinéma français, ce qui me désole lorsque je parle avec Olivier Assayas – il a été critique et a tout vu, lui. J’aime beaucoup le cinéma de Jacques Audiard. Et Xavier Dolan, que j’ai rencontré. On verra…

J’ai une nature compulsive, je suis hyperactiv­e

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