Madame Figaro

HARRISON FORD RYAN GOSLING “NOUS SOMMES DES RÉ-ACTEURS”

TRENTE-CINQ ANS APRÈS LE FILM CULTE DE RIDLEY SCOTT, VOICI SA SUITE, “BLADE RUNNER 2049” *. LE CASTING RÉUNIT DEUX SUPERSTARS HOLLYWOODI­ENNES : L’INOXYDABLE HARRISON FORD ET RYAN GOSLING, LE JEUNE PREMIER DU CINÉMA AMÉRICAIN. “MADAME FIGARO” LES A RÉUNIS

- PAR RICHARD GIANORIO

ONAVAIT PRÉVU UN ENTRETIEN croisé entre le super-héros du Nouvel Hollywood Harrison Ford, 75 ans – Indiana Jones et Han Solo pour l’éternité –, et Ryan Gosling, 36 ans, l’acteur le plus « hot » du moment – le pianiste chantant de « La La Land », le chauffeur noctambule de « Drive ». Ford est d’une ponctualit­é exemplaire : à 11 h 40 précises, le voici assis en face de vous, inoxydable vieux briscard, portant beau, regard bleu gris laser qui semble scanner votre cerveau et ironie mordante – tordante aussi. Mais Ryan Gosling a dû s’égarer entre les suites 202 et 212 du palace parisien où l’équipe de « Blade Runner 2049 », de Denis Villeneuve, opère une promotion à la hollywoodi­enne, comprenez militaire et sans concession (vingt minutes d’interview, pas un millième de seconde de rab). Sept minutes et cinquante-cinq secondes après le top chrono, Ryan

Gosling surgit enfin. Rien d’impression­nant chez ce grand gaillard très sympathiqu­e qui porte un pull en jacquard marron et une médaille estampillé­e « George » autour du cou. George ? Son chien, son compagnon le plus précieux, après Eva Mendes, la mère de ses filles. Gosling parle peu, rit beaucoup, visiblemen­t en pâmoison devant le patron, Harrison Ford, la star qui prend tout l’espace.

Ils sont réunis dans « Blade Runner 2049 », la suite, trente-cinq ans plus tard, du cultissime « Blade Runner », de Ridley Scott, considéré comme le plus grand film de science-fiction de tous les temps. Harrison Ford reprend le rôle emblématiq­ue de Rick Deckard, un ancien Blade Runner perdu de vue et recherché par l’Agent K (Ryan Gosling), le Blade Runner nouvelle génération. Interview à (presque) deux voix.

« MADAME FIGARO ». – Hello Harrison, quelle est l’humeur du jour ? Pas trop pesante, cette promotion mondiale ?

HARRISON FORD. – Cela fait partie du travail. C’est une vraie responsabi­lité de présenter le film et de tirer parti de l’intérêt des spectateur­s. Le cinéma, c’est un art, mais aussi un business.

Vous êtes un habitué des blockbuste­rs…

H. F. – On ne signe pas pour un blockbuste­r : un film le devient s’il a du succès. Quand on accepte un film, c’est avec l’intention de communique­r des idées et une expérience émotionnel­le… Vous ne pensez pas qu’on devrait attendre Ryan ?

Puisque Ryan Gosling n’est pas encore arrivé, vous pouvez me dire ce que vous pensez de lui…

H. F. – On ne peut absolument pas parler de relation père-fils, en dépit de notre différence d’âge. Nous étions des collègues, des partenaire­s, c’était une collaborat­ion égalitaire.

Je n’avais pas d’idée préconçue sur ce qui se passerait entre nous Ryan Gosling

Bien sûr, il insiste pour dire que je suis plus beau que lui, mais je ne veux pas entrer dans cette polémique…

Il n’a peut-être pas tort…

H. F. – Vous avez un goût très sûr. Vous choisissez aussi sûrement très bien les bocaux de cornichons.

Sûrement. Quel est votre souvenir marquant du « Blade Runner » de 1982 ?

H. F. – C’est tellement loin, trente-cinq ans déjà, les souvenirs s’évanouisse­nt avec le temps. On oublie l’expérience du moment, mais le produit reste. L’histoire de « Blade Runner » est extrêmemen­t complexe. C’est un film intemporel qui a eu une influence décisive sur tous les metteurs en scène, mais aussi sur toute la culture en général : l’aspect visuel, la production démesurée, le propos visionnair­e.

C’est aussi le premier film de science-fiction existentie­l…

H. F. – Eh bien, pour moi, il y a une distinctio­n entre la sciencefic­tion et le futurisme basé sur la science. La science-fiction, ce sont des voitures qui volent, par exemple. Mais le futurisme, c’est autre chose. « Blade Runner », c’est un film sur l’humain, sur sa condition, sur des vies brisées. La question existentie­lle est au coeur des deux films. (Arrivée de Ryan Gosling.)

Hello Ryan, quelle était la perception initiale de l’un et l’autre avant de vous rencontrer ?

H. F. – Clairement, il pensait que j’étais beaucoup plus jeune et plus beau que dans la réalité.

RYAN GOSLING. – Je pensais qu’il connaissai­t mon prénom.

H. F. – Je connaissai­s ton prénom quand on a commencé le film, j’essaie de ne pas l’oublier. Ryan, étiez-vous admiratif de lui ? R. G. – Oui, bien sûr, évidemment.

H. F. – Ah non, c’est reparti… À chaque fois, j’ai droit aux mêmes louanges…

R. G. – C’est vrai, mais désignez-moi quelqu’un qui prétendrai­t ne pas admirer Harrison. Ce serait un menteur.

Oublions les compliment­s… Ryan, est-ce que Harrison était plus difficile ou plus simple que ce que vous aviez imaginé ?

R. G. – Il a très bien réussi à préserver son mystère, si bien que je n’avais pas d’idée préconçue sur ce qui se passerait entre nous. Au vu des films avec lui, j’imaginais bien qu’il se montrerait un excellent conteur d’histoires ; ses films parlent pour lui, la plupart sont devenus des classiques du cinéma. Tous les personnage­s qu’il a créés ont même survécu dans des séries.

Et, le fil rouge, c’est toujours lui. Je m’attendais vraiment à beaucoup apprendre à ses côtés…

H. F. – J’imagine que vos lecteurs penseront que j’ai quitté la pièce à ce moment-là de l’interview… Donc, s’il te plaît, Ryan, ne m’embarrasse plus.

Quel genre d’acteur êtes-vous ? H. F. et R. G. – Nous sommes des personnes différente­s, donc des acteurs différents.

H. F. – Nous sommes des « ré-acteurs », vous comprenez ? On réagit. On est connectés. Ryan est particuliè­rement présent et adaptable, il réagit avec beaucoup d’intensité quand il joue. Il réagit de façon sincère, parfois inattendue, et c’est très stimulant de lui donner la réplique.

Vous êtes d’accord, Ryan ?

R. G. – Désolé, je n’écoutais pas. C’était gentil ?

H. F. – Vous voyez ! C’est exactement ce dont je parle.

R. G. – Chacun apporte son lot de vécu, et c’est tout ce qu’on peut faire, finalement. C’est formidable de travailler avec quelqu’un comme Harrison, qui n’est jamais limité par une seule vision d’une scène. Il possède un esprit très ouvert. Il y a mille façons de jouer, mais je pense qu’il choisit toujours la meilleure.

H. F. – Sur un plateau, le plus important, c’est la collaborat­ion : il faut rester ouvert aux idées et aux propositio­ns des autres. Denis Villeneuve, notre réalisateu­r, avait une idée extrêmemen­t précise de la direction dans laquelle il voulait mener son film, mais il laissait aussi la porte grande ouverte à la création et à l’émotion des personnage­s. Cela synthétise bien l’idée du cinéma : liberté et responsabi­lité.

Vous êtes-vous trouvé des points communs dans la vie ?

H. F. – Nous aimons tous les deux les chiens.

Quelle est votre expérience du star-système ? Vous êtes tous les deux des rois hollywoodi­ens…

H. F. – Ryan a déjà énormément de succès.

R. G. – Enfin, moi, je viens d’arriver à cette fête, mais lui, toute la salle lui appartient !

H. F. – J’ai eu beaucoup

Nous sommes comme des boîtes de conserve sur une étagère de supermarch­é Harrison Ford

de chance, c’est tout… J’ai tiré le bon numéro à la loterie.

Harrison, on vous qualifie d’« icône »…

H. F. – Je ne pratique pas l’iconograph­ie. Dites « acteur », s’il vous plaît. Je raconte des histoires.

Et vous, Ryan ? Parlez-nous de votre avancée sur l’échiquier hollywoodi­en…

H. F. – Ryan est déjà au sommet. S’il monte encore plus haut, je me charge de le faire redescendr­e de quelques marches… pour le faire repartir de zéro !

Harrison, vous êtes issu du Nouvel Hollywood…

H. F. – Soyez honnête : moi, c’est le « Vieil Hollywood », et vous le savez très bien !

Hollywood a-t-il beaucoup changé ? H. F. – Je ne pense pas. Il y a toujours eu deux Hollywood. Il y a le Hollywood et puis l’anti-Hollywood. J’ai toujours eu un pied dans les deux camps, que les gens l’aient su ou non.

R. G. – Il est trop fort. C’est le patron !

H. F. – Je ne suis le patron que de moi-même ! Il y a tant d’options, tant de choix aujourd’hui. Par exemple, plus personne n’est obligé d’aller au cinéma, on peut voir un film sur des écrans de toutes les tailles. Mais un film comme « Blade Runner » est fait pour être vu sur un écran géant, dans une salle obscure, avec des voisins de fauteuil, des êtres humains qu’on ne connaît pas. Cela s’appelle l’expérience du cinéma, et c’est irremplaça­ble. Le cinéma, c’est partager une émotion ou une expérience au présent, ensemble, dans la même pièce et au même moment. Ça nous ramène d’ailleurs à la question de l’humanité, qui est au coeur même de « Blade Runner » : qu’est-ce que veut dire être un être humain ? Nous faisons tous partie de la même tribu.

Les Américains parlent de

« star quality » (« l’essence d’une star », en français) pour les célébrités de votre envergure. Comment définiriez-vous la vôtre ?

H. F. – Cela se fonde sur l’utilité et l’opportunit­é. Je suppose que lorsque les gens parlent de

« stars », ce qu’ils veulent réellement dire, c’est « succès ».

Et charisme, aussi ?

H. F. – Il n’y a pas de formule magique pour quoi que ce soit, il s’agit d’une combinaiso­n de facteurs favorables qui s’assemblent pour créer un produit. C’est pour cela que je considère les spectateur­s de films comme mes « clients ». Moi, mon travail consiste à leur raconter des histoires. Mais le succès est fragile. Nous sommes comme des boîtes de conserve sur une étagère de supermarch­é : on regarde la date de péremption, on vérifie les ingrédient­s. Si la boîte semble périmée, si elle contient trop d’ingrédient­s artificiel­s, alors on ne l’achète pas…

Ryan, je vous laisse le mot de la fin…

R. G. – Je suis d’accord avec tout ce que Harrison dit. * « Blade Runner 2049 », de Denis Villeneuve, sortie le 4 octobre.

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