Rédactrice de mode : L’EXERCICE DU STYLE
LLA RÉDACTRICE DE MODE N’EST PAS UNE FEMME COMME LES AUTRES. Pour preuve, le défi stylistique que nous avons lancé à nos cinq expertes : imaginer deux looks différents à partir de cinq pièces iconiques. Confrontée à la même situation, une femme normale – nous toutes, en somme – se contenterait d’assembler lesdites pièces de façon convenue. À la rigueur, la seule prise de risque consisterait à roulotter les manches de sa chemise… et encore. Pour nos cinq rédactrices de mode maison, c’est une autre histoire. Ces instinctives réfutent l’idée du « porté tel quel ». Leur différence ? Elles s’approprient chaque pièce pour les transcender.
LES RÉDACTRICES DE MODE EXCELLENT dans l’art de détourner, twister, mixer les vêtements, afin de faire jaillir ce je-ne-sais-quoi après lequel courent désespérément bon nombre de modeuses : le style. « Notre mission consiste à susciter l’envie, suggérer l’étonnement, rendre l’habit désirable, explique Julie Gillet, rédactrice de mode pour “Madame Figaro”. Quand je regarde un vêtement, j’imagine tout de suite comment je vais pouvoir le “tordre”, comment je vais pouvoir l’accessoiriser pour le rendre le plus photogénique possible. L’idée étant de dessiner une attitude, une allure forte que la lectrice aura envie d’adopter. » Trouver le juste équilibre peut être un exercice périlleux. « Toute la difficulté est là, poursuitelle. Il faut savoir doser, être audacieuse, tenter des choses, sans pour autant tomber dans la caricature, le ridicule ou l’importable. » Les rédactrices de mode se doivent également d’être visionnaires. À travers les séries qu’elles signent dans les magazines, elles racontent une histoire qui rend tangible la mode, sublime le vêtement. Elles anticipent nos désirs, donnent à voir et à rêver les tendances que nous allons adorer (souvent), abhorrer (peut-être)… mais adopter (la plupart du temps). « C’est toute la magie de la mode, reprend Julie Gillet. Il ne faut jamais dire jamais. Même les associations les plus improbables peuvent fonctionner. » Qui aurait imaginé porter, il y a quelques années, un tailleur en tweed avec des sneakers ? ou des chaussettes en laine dans ses escarpins ? Le génie et l’audace de certaines rédactrices de mode ont littéralement marqué son histoire. C’est le cas, entre autres, de Nicole Crassat (la reine du vêtement sens dessus dessous), de Carlyne Cerf de Dudzeele (l’instigatrice de l’association petite veste Chanel-jean) et de Carine Roitfeld (surnommée l’Irrévérencieuse en raison de son fameux goût pour l’esthétique porno chic).
« NOTRE MÉTIER CONSISTE À DÉCODER LES COLLECTIONS ET LES DÉFILÉS, puis à donner les bonnes clés aux lectrices pour qu’elles s’approprient la mode, explique Carine Roitfeld. Il faut être fine observatrice, repérer les pièces fortes, avoir sans cesse des idées pour créer de nouvelles histoires. Tenter. Au tout début, j’ai fait mes armes auprès de Nicole Crassat. Elle m’a beaucoup appris. Elle envisageait la mode avec une telle liberté… C’est sans doute d’elle que j’ai hérité mon penchant pour ces fameuses petites fautes de goût que je glisse dans mes séries : le soutien-gorge noir sous un chemisier blanc, l’escarpin blanc en plein hiver… J’aime cette idée de casser les codes sur une allure très tenue. J’aime le petit “accident” de style. C’est aussi ça, la vie, non ? » Nombreux sont les créateurs qui viennent chercher l’oeil, l’expertise des rédactrices de mode, nouant une relation forte : il y a eu des duos marquants, tels que Carine Roitfeld et Tom Ford ou Marie-Amélie Sauvé et Nicolas Ghesquière.
« J’ai un regret, ajoute Carine Roitfeld. Les réseaux sociaux ont changé terriblement les règles du jeu. Nombreuses sont celles qui s’autoproclament stylistes. On lit partout “#styledbyme”. C’est dommage, on retire les lettres de noblesse à un vrai savoir-faire. On ne s’improvise pas rédactrice de mode du jour au lendemain. C’est un talent. Tout le monde n’a pas ce talent », conclut-elle.