L’enfance de l’art », par Marina Foïs.
Je suis née Foïs. Dans la famille, les hommes étaient architectes et les femmes au foyer, donc alcooliques. J’ai aimé l’architecture plus que le whisky. Dans un premier temps. À Noël, mon père m’offrait un outil. J’ai une ponceuse, des visseuses et un atelier aussi bien fourni que le sous-sol du BHV à l’époque. J’ai séduit le père de mes gosses en lui dessinant et construisant une bibliothèque. Le dimanche, on n’allait ni à la messe – on est juifs – ni à la chorale, on allait à l’atelier. Mon grand-père a dessiné la première boutique Hermès à Milan. J’aime Carlo Scarpa (élégance absolue du détail) et Oscar Niemeyer (archi sexy). J’ai l’oeil Foïs, plein de principes aussi rigides qu’absurdes. Mon père était contre les tables basses. J’ai été contre longtemps. Je méprisais ceux qui en avaient. Sans arguments, mais avec fermeté. Et puis j’ai fait une psychanalyse – je suis juive – et je me suis émancipée. J’ai acheté une table basse. Mon père a continué à me parler. Je me suis affranchie, mais mon oeil est Foïs. J’aime Mies van der Rohe, ses lignes pures et ses structures claires. Dépouillement, pas d’ornements. Je n’aime pas la fantaisie quand elle est une intention, less is more, ça laisse de la place pour penser, c’est suffisamment le bordel à l’intérieur (de la tête). L’horizon dégagé… Feng shui, je m’en fous. La nature, c’est beau, mais la ville, c’est chez moi. Buren au Palais-Royal m’émerveille à chaque fois. Le mélange. Les contrastes. J’aime le noir et le bois, j’ai un avis au centimètre près, je me la pète, je rêve de Pierre Paulin, je recopie Le Corbusier, je dessine des meubles qui n’existeront jamais ; chez les autres, j’abats mentalement des cloisons et je pousse les meubles. Je théorise l’espace… Mais aujourd’hui je bois aussi. Je me suis réconciliée avec la féminité.