Reportage : Vancouver arty.
BERCEAU D’UN COURANT ARTISTIQUE RADICAL, LA MÉGAPOLE CANADIENNE ABRITE AUJOURD’HUI UNE GÉNÉRATION DE CRÉATEURS D’EXCEPTION. GALERIE DE PORTRAITS.
DOTÉE D’UNE FABULEUSE ARCHITECTURE DE TOURS DE VERRE, posée sur l’eau, la cité du Grand Ouest canadien parsemée de parcs aux arbres spectaculaires n’en finit pas de se réinventer. Dernièrement, « The Economist » l’a classée troisième ville parmi les plus agréables à vivre du monde, derrière Melbourne et Vienne. Cette identité particulière, fondée sur sa position géographique ultime, ses paysages sauvages et son urbanité dense, entre port industriel et constructions permanentes, nourrit le ferment d’une scène artistique intense et originale. À l’origine, un trio en or – Jeff Wall, Rodney Graham et Ian Wallace – place Vancouver sur la carte de l’art. Dans les années 1970-1980, les trois artistes inventent une nouvelle pratique de la photographie :
le photoconceptualisme, mix de contexte historique et local, de théorie pointue et d’invention formelle, à l’origine de l’école de Vancouver, célébrée dans le monde entier. Ensuite, des artistes, comme Stan Douglas, Roy Arden ou Ken Lum, reprennent le flambeau en développant leur pratique autour de l’image, tandis que la génération née à la fin des années 1960 et dans les années 1970, tels Geoffrey Farmer, Brian Jungen, Ron Terada, et la jeune garde, composée de Rebecca Brewer ou de Raymond Boisjoly, s’en affranchissent tout en s’y référant.
C’EST TRÈS FREUDIEN, SOULIGNE CATRIONA JEFFRIES, une des grandes galeristes de Vancouver. Comme un désir de tuer le père. » « Ian Wallace nous a poussés à aller voir ailleurs, reprend son ami Brian Jungen. Nous avons ainsi découvert la multidisciplinarité aux États-Unis. » Résultat : « Aucun des artistes d’aujourd’hui n’utilise la photographie », conclut Caitlin Jones, la directrice de l’espace Western Front.
Actuellement, la communauté artistique fonctionne en réseau serré, autour de solides institutions, du Vancouver Art Gallery (1) – le grand musée de la ville, fondé en 1931 dans Downtown –, à l’école d’art Emily Carr qui a formé de nombreux créateurs et qui s’implante maintenant à False Creek, dans l’est trendy de la ville, en passant par la Morris and Helen Belkin Art Gallery, attachée à l’université de la Colombie-Britannique. Vancouver abrite aussi bien des « artist-run centres », ces espaces autonomes créés dès les années 1970 par des artistes d’avantgarde, que la fondation de l’entrepreneur et collectionneur Bob Rennie, sise dans un magnifique vieil immeuble de Chinatown (2).
aU PRINTEMPS DERNIER, UN REMARQUABLE PANORAMA D’EXPOSITIONS relatait cette scène complexe : hommage à son histoire de la photo avec une exposition de Ian Wallace à la Rennie Collection, mélange d’artistes locaux et internationaux à la Contemporary Art Gallery. Et concentré de production locale avec la passionnante « Pictures From Here » à la Vancouver Art Gallery, présentant notamment des toiles emplies de nature d’Emily Carr, l’artiste historique de la région. Cette cité au bord du monde a longtemps été assez isolée, même si ce n’est plus le cas aujourd’hui. D’où cette poétique question : « Qu’y a-t-il dans l’eau de pluie qui produise tant d’artistes ici, à l’ouest des Rocheuses ? » s’interroge Catriona Jeffries. Une énigme doublée d’une inquiétude commune : les prix galopants de l’immobilier transforment la ville en casse-tête tant pour se loger que pour trouver un atelier. Les artistes de demain continueront-ils d’y vivre ?